Faire tomber les barrières
Le mouvement de l’open science encourage les chercheurs à partager davantage leurs résultats et leurs données. Son objectif: rendre la science plus efficace, utile et fiable.
Articles retirés pour cause d’irrégularités, résultats impossibles à reproduire, méthodes non standardisées, publications inaccessibles: le monde de la recherche s’est lui-même créé de nombreux problèmes (voir «Fixing science», Horizons septembre 2015). Il y cherche désormais activement des solutions.
Pour de nombreux observateurs, remédier à ces maux passe par un nouveau paradigme: l’open science. L’idée consiste à casser les barrières qui entravent la chaîne de production scientifique, depuis la formulation d’hypothèses jusqu’à la publication des résultats (voir «Les ingrédients d’une nouvelle culture», p. 13). Les mots-clés: partage et inclusion, collaboration et décentralisation, transparence. L’objectif est d’ouvrir entièrement les travaux de recherche en les rendant utilisables par chacun – qu’il s’agisse de scientifiques, de membres de la société civile, d’industriels, voire d’un programme informatique capable de tirer de nouvelles conclusions à partir d’anciens résultats.
La connaissance pour tous
Un premier pilier – l’open access – veut assurer que l’ensemble des publications scientifiques soient accessibles gratuitement. «Même si les gens sont un peu impatients, nous sommes clairement sur la bonne voie», commente Daniël Lakens de l’Eindhoven University of Technology, un chercheur en psychologie actif dans l’open science. Selon une étude européenne de 2014, plus de la moitié des articles publiés depuis 2007 sont libres d’accès. Mais la question des coûts demeure: si la lecture d’un journal open access est gratuite, y publier un article coûte en revanche 3000 euros en moyenne. A l’inverse, les archives de prépublications telles qu’Arxiv ou SSRN diffusent gratuitement des manuscrits soumis aux revues. Le monde de l’édition scientifique, critiqué pour ses tarifs continuellement à la hausse, se devra de réagir, car il se voit désormais confronté au piratage: des sites mettent à disposition des copies de millions d’articles autant illégales que, selon le point de vue, légitimes.
Un second volet – l’open research data – vise à changer en profondeur l’attitude des scientifiques par rapport aux données brutes issues de leur recherche. «La plupart d’entre eux considèrent que celles-ci leur appartiennent», note Daniël Lakens. Ils se focalisent sur l’interprétation de leurs résultats afin de présenter une conclusion claire et concise, mais sans mettre à disposition les données primaires. Cela empêche de les comparer ou de questionner les choix d’interprétations, tel le type d’analyse statistique effectuée. «Le biais de publication – le fait que seuls les résultats positifs sont normalement publiés – représente selon moi le plus grand problème de la science d’aujourd’hui. Pour y remédier, il est nécessaire que toutes les données soient accessibles, notamment celles qui ne figurent pas dans les publications.»
Créer l’intérêt
La plupart des scientifiques ne voient pas d’intérêt direct et individuel à partager leurs données, car cela prend du temps, coûte de l’argent et exige de développer certaines compétences en informatique. L’open research data reste ainsi souvent une initiative personnelle ou une condition imposée d’en haut dans un programme spécifique. «Il est nécessaire de mettre en place des nouvelles incitations, car, pour l’instant, l’open data n’influence la réputation d’un chercheur que de manière minime», note Sascha Friesike de l’Institut Alexander von Humboldt pour l’Internet et la société à Berlin, qui a effectué un doctorat sur le management de l’innovation à l’Université de Saint-Gall. Mais les choses évoluent, «notamment parce que certaines agences de financement publiques ou privées commencent à exiger que les données de la recherche qu’elles financent soient partagées», note Daniël Lakens.
Dévoiler ses recettes
Les données ne suffisent pas: il s’agit également d’expliciter les méthodes utilisées pour les acquérir, telles que ses recettes de labo ou les modifications apportées à ses instruments de mesure. C’est seulement alors qu’il sera possible à d’autres groupes de recherche de valider les résultats en les reproduisant ou, au contraire, de les infirmer.
Le mouvement de l’open science rêve de voir les chercheurs travailler de manière collaborative en tenant des cahiers de laboratoire sur Internet lisibles par tous. «Les problèmes que la science veut résoudre sont de plus en plus complexes et nécessitent davantage de collaboration, souligne Sascha Friesike. Au lieu de répondre aux exigences de programmes de recherche parfois rigides, les chercheurs auraient intérêt à s’organiser eux-mêmes en lançant des appels à collaborer ouverts à tous. Cela mettrait également une pression accrue à partager ses données, ses méthodes et ses infrastructures – car sinon, leurs collègues ne seront guère motivés à contribuer au projet.»
Daniel Saraga est rédacteur en chef d’Horizons.
B. Fecher and S. Friesike: Open Science: One Term, Five Schools of Thought. SSRN (2013)