Point de vue
«Certaines choses sont plus simples à dire, d’autres à montrer.»
En tant qu’artiste et philosophe du langage, Tine Melzer combine deux approches très différentes dans des projets qu’on peut classer dans la recherche artistique. Elle décrit son domaine d’activité, pas simple à saisir.
Tine Melzer, artiste et philosophe du langage, combine ces deux approches dans des projets qu’on peut classer dans la recherche artistique. Un domaine d’activité pas simple à saisir.
Tine Melzer, la notion de «recherche artistique» a-t-elle vraiment un sens?
Elle est attrayante. Le problème réside davantage dans le débat qu’elle suscite. Le terme a été usé par des évaluations, des expériences et des conceptions qui ont produit de très nombreux malentendus.
Lesquels?
Après la réforme de Bologne, il est devenu important de pouvoir donner une sorte de statut post-master aux chercheurs des hautes écoles d’art – par exemple de définir les exigences formelles pour un étudiant souhaitant décrocher un doctorat en arts. Certains pensaient que le travail artistique devait s’adapter aux canons universitaires. Il existe des possibilités judicieuses de lier la pratique artistique et la recherche avec des méthodes scientifiques, mais il faut que cela se passe au même niveau. Un récent manifeste de la recherche artistique (S. Henke, D. Mersch et al.: Diaphanes 2020) clarifie enfin certains des principaux malentendus.
Par exemple?
Cette notion peut être utilisée abusivement pour valoriser un travail de recherche difficile à communiquer à l’aide d’un geste artistique. Ou, à l’inverse, ce dernier peut servir à donner une sorte de vernis scientifique à un travail artistique de piètre qualité. Aucun des deux n’en profite.
Que fait la recherche artistique?
Les arts disposent désormais de méthodes efficaces qu’on peut appliquer à de nombreuses disciplines scientifiques, par exemple pour utiliser et clarifier des aspects équivoques. Personnellement, j’attends de la recherche artistique une joyeuse proximité avec la mise en mots et la réflexion entre procédés poétiques et théoriques.
Pouvez-vous nous décrire un projet tiré de votre pratique?
The Complete Dictionary de 2003, une encyclopédie de tous les mots possibles de six lettres ou moins, en est un exemple. Il s’agit de savoir quelle est la taille du dictionnaire complet. En philosophie, on pourrait la traiter dans un essai, mais l’art peut l’aborder par de tout autres moyens, pour ainsi dire physiques. Pour le Dictionary, ce sont ses 26 tomes, de A à Z. Dans ma propre compréhension du fonctionnement de la langue, certaines choses sont plus simples à dire et d’autres plus simples à montrer.
Comment cela fonctionne-t-il?
Dans les expositions, les visiteurs peuvent utiliser ces tomes comme des objets de lecture, les toucher, les manipuler. Ils découvrent alors qu’ils contiennent bien plus de mots que ceux qui sont employés, à savoir toutes sortes de mots prononçables, et pas uniquement ceux d’une seule langue maternelle.
Nous savons tous utiliser les mots – ces suites de lettres – d’une manière ou d’une autre et entretenons des liens avec eux. Le Dictionary est relié à cette expérience quotidienne. Ce qu’il accomplit ne peut pas toujours être réalisé par une œuvre purement académique.