Désaccords autour de l’open access
Les responsables d’une revue spécialisée en histoire de l’art voulaient passer en libre accès, mais leur maison d’édition a refusé. L’affrontement illustre les difficultés à réaliser la vision de l’open access.
L’essor de la numérisation et les difficultés de la presse imprimée n’épargnent pas les publications scientifiques. Fondée en 1932 à Berlin, paraissant quatre fois par année, la revue d’histoire de l’art Zeitschrift für Kunstgeschichte (ZfK) fait face à des problèmes financiers depuis plusieurs années déjà. Une situation que ses quatre éditeurs n’ont pas cachée à leur maison d’édition, la Deutscher Kunstverlag, qui imprime la revue.
Une difficulté en vue: la fondation Rudolf-August Oetker et l’Université de Bielefeld cesseront de soutenir la revue à fin 2019. Ses éditeurs ont donc revu leur concept et ont cherché de nouveaux partenaires. L’Université de Berne s’est dite disposée à soutenir la revue à partir de 2020, mais a posé une condition: le périodique devra être en libre accès. Tous les articles seront disponibles en ligne gratuitement et sans limite dès leur publication, soit la «voie dorée» de l’open access.
Qui peut utiliser le titre?
C’est alors que les problèmes ont commencé. Dans un premier temps, la maison d’édition allemande s'est déclarée prête à ce que les articles soient accessibles sur des sites d'archives («voie verte» de l'open access), mais uniquement après une période d’embargo. La voie dorée sans embargo aurait pu être introduite seulement à partir de 2021, et avec d’autres conditions, selon Beate Fricke, l’une des éditrices de la revue, qui enseigne l’histoire de l’art médiéval à l’Université de Berne. Il apparut que trouver un terrain d’entente ne serait pas possible. La question du nom de la revue est venue envenimer la situation.
Pour les éditeurs du magazine, le droit d’utiliser le titre «Zeitschrift für Kunstgeschichte» leur appartenait; ils pouvaient continuer à se servir de ce nom, notamment pour une collaboration avec le portail Arthistoricum.net. Mais la maison d’édition voyait les choses autrement. La protection des noms étant nettement plus rigoureuse en Allemagne qu’en Suisse, l’affaire menaçait de se muer en une procédure longue et coûteuse, explique Daniel Hürlimann, spécialiste du droit de l’information à l’Université de Saint-Gall.
Les responsables de ZfK disent ne pas avoir eu le courage ou les fonds pour s’engager dans une longue dispute. Ils ont par conséquent décidé de cesser leur activité à fin 2019. «Nous n’avons pas pris cette décision de gaieté de cœur, confie Beate Fricke. Nous craignons pour l’avenir d’une revue importante en histoire de l’art.» Il n’a cependant pas été possible de s’entendre sur l’avenir de la revue avec l’éditeur. Le comité d’édition, étoffé de deux personnes, a décidé de lancer en 2020 un nouveau magazine en complet libre accès.
Journal cherche éditeur
Cette revue intitulée «21: Inquiries into Art, History, and the Visual» proposera des articles sur l’histoire de l’art classique ainsi que sur des images, pratiques et phénomènes visuels. Les domaines du film, de la photographie, de la publicité ou des médias sociaux pourraient aussi y être thématisés. Les éditeurs ne se limiteront pas à l’espace anglo-américain et européen, mais traiteront de thèmes mondiaux. Tous les articles seront soumis à une évaluation par les pairs en double aveugle, une méthode éprouvée. Beate Fricke indique qu’un accent particulier sera mis sur le plurilinguisme dans l’histoire de l’art. Les articles paraîtront en anglais, en allemand, en français et en italien.
La Deutsche Kunstverlag dit regretter que la rédaction cesse ses activités. Elle annonce que la revue ZfK sera maintenue: elle paraîtra sous forme écrite et numérique à partir de 2020 et sera gérée par de nouveaux éditeurs, encore inconnus. Une solution en libre accès serait envisageable à titre complémentaire. «La Deutsche Kunstverlag est consciente de sa responsabilité à l’égard de la ZfK, l’un des organes essentiels de l’histoire de l’art allemande, déclare Eric Merkel-Sobotta, directeur de la communication du groupe de Gruyter, à laquelle appartient la maison d’édition. La mise en place du nouveau comité éditorial s’effectuera en étroite collaboration avec la communauté de spécialistes de la discipline.» Cette dernière pourrait, bizarrement, profiter de la dispute entre les anciens éditeurs et la maison d’édition, sous la forme d’une offre plus étendue de revues consacrées à leur domaine.