Asile: ce que pense l’Europe
Un grand sondage mené dans 15 pays révèle les attitudes de la population face aux demandeurs d’asile. Elle approuve en majorité une répartition équitable parmi les différents pays, même si celle-ci devait augmenter le nombre de réfugiés.
Plus de 18 000 personnes dans 15 pays d’Europe se sont exprimées sur l’asile. Résultat de ce grand sondage? La politique d’asile européenne offre bien plus de latitude pour des solutions équitables qu’on ne l’imagine, répond Dominik Hangartner, coauteur de l’étude et professeur d’analyse politique à l’ETH Zurich et à la London School of Economics. Deux questions furent posées: comment répartir les demandeurs d’asile entre les différents pays? Et quels genres de personnes sont-elles les bienvenues?
Les réponses à la deuxième question mettent en évidence un mélange d’égoïsme et de solidarité. «La préférence est donnée aux gens jeunes et bien formés», souligne Dominik Hangartner. C’est-à-dire à ceux qui peuvent apporter une contribution et ne risquent pas de se retrouver à la charge de l’aide sociale. Mais des motivations humanitaires jouent aussi un rôle. Des demandeurs d’asile qui ont été torturés, ont subi des traumatismes ou ont perdu leur famille sont davantage acceptés, ce qui va de pair avec le droit international des réfugiés. Mais ce dernier n’est pas toujours présent dans les réponses, qui indiquent que les musulmans sont moins bienvenus que les chrétiens.
La Suisse différente
Fait surprenant, ces schémas de pensée sont observés dans tous les groupes sociaux et dans l’ensemble des nations, avec seulement de petites divergences. Les individus politiquement à gauche sont également sceptiques à l’égard des musulmans, mais de façon moins tranchée que ceux de droite. L’islamophobie s’observe particulièrement chez les personnes interrogées en Pologne, en Tchéquie et en Grèce. Les ressortissants du Kosovo suscitent davantage de réserve dans les pays germanophones que dans le reste de l’Europe. De manière générale, les sondés préfèrent des réfugiés qui exerçaient un travail dans leur patrie d’origine, mais avec une certaine hiérarchie: l’acceptation est d’autant plus grande que la formation académique est élevée. Seule la Suisse n’exprime pas de différence par rapport au type de métier pratiqué: médecin ou homme de ménage, enseignante ou agricultrice, tous sont bien vus. Selon Dominik Hangartner, cette particularité pourrait être liée à la réputation relativement élevée de la formation professionnelle en Suisse.
Trois modèles de répartition des demandeurs d’asile parmi les pays européens ont été proposés aux sondés: soit le statu quo, soit le même nombre pour chaque Etat, soit une répartition en fonction de la taille et de la puissance économique. Tous les pays ont choisi la dernière option, en moyenne à 72%. «Le principe est intuitivement clair et équitable, explique le chercheur. Faire porter davantage à celui qui en est capable représente une norme forte.»
Mais ces nobles principes ne tiennent pas entièrement: l’adhésion à ce système chute fortement lorsque les sondés prennent conscience que leur pays devrait dans ce cas accepter davantage de réfugiés qu’avant. Comme en Tchéquie, dont le nombre de demandeurs d’asile serait alors multiplié par 25. Une fois ce fait connu, l’adhésion à cette clé de répartition a chuté, et trois quarts des sondés ont privilégié le statu quo. La situation est opposée en Allemagne, qui a pris en charge le plus de réfugiés, autant en chiffres relatifs qu’absolus, et qui connaîtrait un énorme allégement avec une clé de répartition proportionnelle. Cette dernière n’a été approuvée au premier abord que par 58% des Allemands, une proportion qui a augmenté de 10% une fois les conséquences connues des sondés.
La Suisse est l’un des trois pays les plus favorables à une clé de répartition équitable, avec une approbation de presque 80% des personnes interrogées. Le taux a cependant diminué de 20% lorsqu’elles ont appris que le nombre de demandeurs d’asile devrait dans ce cas passer de 37 000 à 39 000. «Nous observons partout deux courants principaux: égoïsme et équité», relève Dominik Hangartner. Selon lui, il est toutefois surprenant de constater à quel point l’équité est importante pour les citoyennes et citoyens européens. A la fin, une courte majorité de 55% approuve la clé proportionnelle, même en ayant pris connaissance de ses conséquences.
Andreas Minder est journalise libre à Zurich.