La phase aiguë de la pandémie a exigé des efforts considérables de la part de la société. Et jusqu'à aujourd'hui, des personnes sont terrassées par le covid long. | Illustration: Christina Baeriswyl

En mars 2020, alors qu'un nouveau coronavirus baptisé SARS-CoV-2 déferle sur la planète, apparaissent déjà les premiers signalements de symptômes de longue durée. Patients et patientes créent le nom de Long Covid. Il désigne un ensemble de troubles persistant au-delà de la phase aiguë de l'infection. La littérature spécialisée parle aussi de séquelles post-aiguës d'une infection à coronavirus, de syndrome post-Covid-19 aigu ou de post-covid. L'OMS parle de Long Covid lorsque les symptômes persistent trois mois après une infection probable ou confirmée et qu'ils persistent depuis au moins deux mois et ne peuvent être expliqués par un autre diagnostic. Cette définition très vague montre combien il est aujourd'hui difficile de cerner le Long Covid. Voici deux témoignages de personnes touchées par le syndrome, suivis d'une exploration du phénomène sous six angles différents.

Professeur de biologie (56), malade pendant 4 mois *

«Je suis conscient d’avoir eu de la chance»

«J’ai attrapé le covid pour la troisième fois début 2024 et j’ai mis du temps à me rétablir. Après avoir porté mes courses jusque chez moi, je devais d’abord aller me coucher. Je n’arrêtais pas de commettre des erreurs stupides. J’ai par exemple envoyé un courriel confidentiel aux mauvais destinataires. J’ai continué à travailler depuis la maison, mais beaucoup moins et de manière morcelée, car je n’arrivais pas à rester concentré longtemps. Mon équipe a très bien fonctionné, ce qui est sûrement dû à ma façon de diriger. L’acceptation par mon entourage et l’université était très bonne.

Je n’ai pas pris de médicaments. J’ai mangé plus sainement encore et ai recommencé très progressivement ma gymnastique. Après environ quatre mois, j’étais de retour à mon niveau normal. J’exerce maintenant mon métier comme avant, je rédige des publications et j’assiste à des conférences. Comme je travaille moi-même sur les virus, je suis conscient d'avoir eu de la chance. Je suis devenu plus prudent et porte par exemple un masque dans les transports public et en avion.»

* Nom connu de la rédaction.
Illustration: Christina Baeriswyl

Chercheuse en sciences sociales (56), malade depuis 2,5 ans *

«Comme un confinement sans fin»

«Les premiers mois après mon infection par le coronavirus ont été un cauchemar. Par ignorance, je suis allée d’effondrement en effondrement. Je ne comprenais rien de ce que je lisais. Brouillard mental, douleurs aiguës, épuisement total, troubles du sommeil et bien d’autres problèmes m’accompagnaient 24 heures sur 24. En cure, mon état n'a pas évolué. Depuis que je suis malade, je travaille quelques heures par jour en home office, avec de longues pauses entre deux. Mes collègues me soutiennent et la direction de l’institut de la haute école me témoigne une grande bienveillance. Mais je vais sans doute devoir quitter ma chaire prochainement. C’est très douloureux.

Je ne peux plus aller manger une  pizza spontanément, aller voir une amie. C’est comme un confinement sans fin. Mon mari m’aide énormément. Il me donne le sentiment que notre vie est toujours précieuse. Grâce à mon bagage professionnel, les médecins me prennent au sérieux. C’est plus difficile pour d’autres personnes. C’est pourquoi je m’engage également au sein de l’association Long Covid pour la reconnaissance sociale de la maladie et un meilleur système de soins. Le pire, c’est quand quelqu’un dit: «Allez donc un peu plus au soleil pour aller mieux.»

(*) Nom connu de la rédaction.
Illustration: Christina Baeriswyl

Peu de données sur l'ampleur du problème

Ni la Suisse ni la majorité des autres pays ne collectent systématiquement des données sur le covid long. Il est donc difficile de chiffrer la maladie. Une analyse étendue a révélé qu’environ 6% des adultes et 1% des enfants dans le monde ont souffert ou souffrent encore de séquelless tardives du covid. Ces chiffres proviennent d’enquêtes statistiques menées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ainsi que de méta-analyses de grandes études de cohorte. Les estimations pour la Suisse vont de 80 000 à 450 000 personnes concernées, selon les méthodes d’enquête et les critères d’inclusion.

Les données relatives à l'évolution de la maladie sont encore plus incertaines: une étude de cohorte suisse avec 1100 personnes non vaccinées souffrant de covid long a montré qu'environ 17% d'entre elles ne se sentaient pas encore complètement rétablies deux ans après être tombées malade, mais la plupart du temps, leur état s'était amélioré.

Illustration: Christina Baeriswyl

Système immunitaire suractivé sans arrêt

De l'épuisement aux difficultés à se concentrer, de la tachycardie à la perte d'odorat: les symptômes reconnus du covid long sont multiples. La recherche de la cause est en cours depuis quatre ans. En janvier 2024, l'équipe dirigée par Onur Boyman à  l'Université de Zurich a trouvé des modifications des protéines du système immunitaire dans des échantillons de sang de patientes atteintes. Ces protéines font partie de la première ligne de défense contre les bactéries et les virus, appelée «le système du complément», qui est aussi activée chez les personnes en bonne santé en cas d'infection. «Mais chez les patients touchés, ce système ne se remet pas en repos après l'infection aiguë. Et ceux chez qui il revient au repos n'ont pas le covid long», note Onur Boyman.

Il existe certes d'autres causes possibles: un microbiome intestinal perturbé, des virus de l'herpès réactivés ou des maladies auto-immunes. Or, pour Onur Boyman, c'est évident: «Le système du complément peut intervenir de façon centrale dans toutes ces causes, ce qui explique de très nombreux symptômes.»

Ziyad Al-Aly de la Washington University à St. Louis (Missouri), chercheur en covid long de la première heure, est un peu plus prudent: «C'est certainement un mécanisme important, mais j'hésite à dire qu'il s'agit du mécanisme principal.» Cela serait en tout cas une bonne cible pour un médicament. «La question est de savoir ce qui déclenche la suractivation du système du complément.» Outre les dommages évidents d'une infection aiguë, telle la cicatrisation du tissu pulmonaire, il existe aussi des indices selon lesquels les coronavirus, ou du moins des parties de ceux-ci, se trouvent encore dans l'organisme et irritent le système immunitaire à partir de là.

Une fatigue récurrente

Il est désormais établi que le Covid-19 peut déclencher un syndrome de fatigue chronique, également appelé «encéphalomyélite myalgique» (EM/SFC). Le symptôme principal est une intolérance à l'effort. Cela signifie que les personnes concernées vont par exemple faire quelques courses ou une petite promenade et se sentent totalement épuisées le soir même ou le jour suivant. Dans les cas graves, elles sont clouées au lit. Christian Dungl, médecin-chef de la clinique de réadaptation Hasliberg, voyait déjà de tels cas avant la pandémie. Lorsque la poliomyélite s'est répandue, on a parlé de poliomyélite atypique, et aujourd'hui, il y aurait la fibromyalgie ou la fatigue associée au cancer. Les déclencheurs sont multiples, les symptômes similaires: intolérance à l'effort, fatigue générale, des problèmes d'attention (brain fog), des troubles végétatifs telle la tachycardie et les problèmes digestifs, ainsi que des douleurs et des hypersensibilités aux stimuli extérieurs.

Outre le système immunitaire et hormonal, le système nerveux central, qui traite les signaux provenant du corps et qui le contrôle, est aussi impliqué. Ce «système de défense neuronal» serait suractivé. Christian Dungl parle de syndrome de sensibilité centrale. Il touche typiquement des personnes performantes, «dont le système fonctionne déjà à 120 à l'heure, et le virus vient s'y ajouter». L'approche thérapeutique de Christian Dungl: les patientes doivent apprendre à mieux sentir leurs limites physiques pour ne pas constamment les dépasser. Il constate chez nombre d'entre elles une amélioration lente, mais constante, qui ne se compte pas en semaines, mais en mois.

Illustration: Christina Baeriswyl

Consultation avec l'ensemble des spécialistes

«Le tableau clinique du syndrome du covid long est très hétérogène», explique Katrin Bopp, fondatrice et directrice de la consultation covid long à l'hôpital universitaire de Bâle. C'est pourquoi il faut commencer par une anamnèse approfondie, afin d'exclure d'autres causes et d'identifier les maladies antérieures. «Il n'existe pas de critère de diagnostic précis, ce qui est souvent frustrant pour toutes les personnes concernées», déplore-t-elle. Il importe d'autant plus de leur faire comprendre que leurs symptômes ne sont pas imaginaires. «Notre objectif thérapeutique est d'améliorer la fonctionnalité au quotidien, soit de se concentrer sur ce qui est encore possible.» Pour cela, elle fait appel à des spécialistes en médecine, en physiothérapie, en ergothérapie et en psychologie. Le remboursement du traitement par les caisses maladie n'est normalement pas un problème, selon la spécialiste. Elle souhaiterait néanmoins plus de fonds pour former le personnel au traitement des maladies de la fatigue. Les besoins sont importants – le délai d'attente pour sa consultation est de deux à trois mois.

Il se pourrait même qu'il faille encore plus de ressources à l'avenir: l’équipe de Julie Péron, neuropsychologue clinique aux Hôpitaux universitaires de Genève, a trouvé des personnes présentant des déficits d’attention mesurables et des changements visibles dans le cerveau, mais sans qu'elles se sentent malades. «Ce sont des symptômes que nous pouvons observer aussi dans les maladies neurodégénératives.» De son avis, il faut envisager une aggravation des symptômes et donc une augmentation de ces maladies dans les années à venir.

Un virus discriminant

L'évolution du Covid-19 est plus grave chez les hommes et ils en meurent plus souvent, ce qui s'explique en partie par des différences dans le système immunitaire. L'équipe de la cardiologue Catherine Gebhard de l'hôpital universitaire de Zurich a, elle, étudié et confirmé l'influence du genre sur l'apparition du covid long: les femmes le contractent plus souvent. Il est difficile d'en trouver la raison. «Cela n'a en tout cas rien à voir avec les hormones sexuelles. Nous l'avons vérifié», note la cardiologue. Elle a donc aussi examiné le contexte social des personnes touchées. Et, en effet: un faible niveau d'éducation, être parent célibataire et ne pas avoir d'enfant augmentaient le risque de contracter le syndrome, indépendamment du genre. Mais les femmes se trouvent plus fréquemment dans ces situations. Et il est intéressant de noter que le fait de vivre seul constituait un facteur de risque chez les femmes, mais un facteur de protection chez les hommes.

Catherine Gebhard l'attribue au stress: la solitude et l'impression de ne pas correspondre aux attentes sociales rendent plus vulnérables. «L'étude nous a valu le reproche des femmes de trouver typiquement des facteurs biologiques chez les hommes et 'seulement' des facteurs socioculturels chez les femmes», explique-t-elle. Cependant, son étude n'exclut pas qu'il y ait des facteurs biologiques encore inconnus, mais montre une fois de plus que les conditions de vie sont importantes.

Illustration: Christina Baeriswyl

Thérapie: beaucoup d'idées, peu de données

Aucun médicament n'est encore autorisé pour traiter spécifiquement le covid long. «Certes, nous préférerions disposer d'une thérapie qui attaque le mal à la racine», admet Dominique de Quervain, neuroscientifique à l'Université de Bale. Or, rien de tel n'est en vue. C'est pourquoi la médecine recourt avant tout aux substances actives ou aux traitements déjà connus. Une firme genevoise a ainsi mené une étude clinique avec un anticorps développé pour la sclérose en plaques – sans obtenir l'effet escompté contre la fatigue. L'Université de Bâle prévoyait une étude avec la fampridine, substance active autorisée pour la sclérose en plaques qui pourrait aider à lutter contre les troubles cognitifs. Or, elle n'a pas réussi à recruter assez de participantes. Une étude chinoise, au cours de laquelle le microbiome de l'intestin avait été modulé avec des bactéries bénignes, a toutefois montré un effet positif contre la fatigue et les troubles de concentration. Et on connaît désormais aussi quelques mesures préventives efficaces contre le covid long: la vaccination a un effet protecteur, mais on ignore si un booster annuel l'améliore. Et la metformine, utilisée chez les personnes diabétiques, réduit le risque en cas d'obésité.

L'association Long Covid Suisse liste une série de traitements potentiellement utiles, mais qui ne reposent souvent que sur des témoignages. «Il faudrait mener des études contrôlées à ce sujet, afin que les patients ne dépensent pas inutilement de gros montants», dit l'épidémiologiste Milo Puhan de l'Université de Berne. Son équipe mène une étude avec le pycnogenol, une substance anti-inflammatoire naturelle. Une étude était aussi prévue sur le «lavage de sang» – selon des témoignages, filtrer certaines substances du sang aiderait lors de covid long. Mais le financement du projet a échoué.

Milo Puhan reste néanmoins optimiste: «Les études randomisées sérieuses ont besoin de temps. Et beaucoup de mesures de rééducation apportent des bénéfices aux personnes atteintes de covid long.»