Au laboratoire de conservation-restauration, on enlève soigneusement couche après couche jusqu'à ce que la clé de l'époque romaine puisse resplendir à nouveau. | Photos: Marion Bernet

Pour lui poser des questions, il faudra attendre. Assis face à la micro-sableuse, les mains à l’intérieur du caisson vitré, David Cuendet est ultra-concentré. Le crayon à buse qu’il tient délicatement entre ses doigts effleure l’objet métallique avec précision, dégageant, millimètre après millimètre, la couche foncée aux reflets rougeâtres qui le recouvre. Difficile d’imaginer que cet élément allongé, dont les contours encore relativement informes sont démesurément agrandis par la loupe, se retrouvera peut-être bientôt exposé quelques étages plus haut dans une vitrine, en pleine lumière. Et que les visiteurs du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, situé au cœur de Lausanne, dans l’imposant palais de Rumine, l’identifieront immédiatement comme une clé très ancienne.

«La clé date d’il y a près de 2000 ans, donc de la période romaine.»David Cuendet

Pour l’instant, c’est dans l’ombre des locaux du laboratoire de conservation-restauration du musée, dont David Cuendet est le responsable, que l’objet est en transit. «Il date d’il y a près de 2000 ans, donc de la période romaine, et a été trouvé à Vidy-Boulodrome, un site de fouilles destiné à la formation des étudiants en archéologie de l’Université de Lausanne», explique-t-il un peu plus tard, après avoir éteint la machine et retiré ses gants en latex. But du micro-sablage, réalisé à l’aide de minuscules billes de verre: ôter la corrosion dont a été victime la clé, afin de retrouver sa surface et sa forme d’origine. Et, dans la foulée, être en mesure d’obtenir des informations plus précises sur son âge et son contexte d’utilisation. Mais pour ce faire, il faudra encore quelques heures de ce travail minutieux.

Toujours moins d'interventions invasives

Le laboratoire compte actuellement cinq collaborateurs fixes et cinq auxiliaires. Il est chargé non seulement de la préservation des objets découverts lors de fouilles archéologiques, mais aussi du suivi des collections du musée. «Nous nous trouvons pile au milieu de toute la chaîne. Nous servons en quelque sorte d’interface entre les acteurs travaillant en amont, notamment sur les fouilles, et en aval, par exemple sur les expositions.» Une mission qui nécessite parfois un sens aigu de la diplomatie, précise avec un clin d’œil David Cuendet.

Et un certain talent d’acrobate: «Pour éviter que les fouilles ne soient ralenties par notre travail, nous devons parfois le mener en parallèle, voire directement sur le terrain.» C’est notamment le cas sur le site de fouilles géant lausannois des Prés-de-Vidy, un projet sur 8 hectares réparti sur quatre ans, qui a démarré fin juin 2024 à l’emplacement d’un futur quartier d’habitations.

«Un vase brisé à la fonction connue ne sera pas reconstitué à tout prix. Ou la réparation restera bien visible.»David Cuendet

La conservation-restauration «répond à une demande scientifique». Celle de transmettre le patrimoine culturel matériel aux générations futures, en le sauvegardant, en le documentant et en le rendant accessible, rappelle David Cuendet. A l’époque où il s’est lancé dans le métier, il n’existait pas de formation spécifique. Entre-temps, cette lacune a été comblée: on peut désormais apprendre les ficelles de la discipline en suivant un programme master HES. Ce cursus est varié, puisqu’il porte à la fois sur la conservation préventive, la conservation curative et la restauration.

Eviter une future détérioration des objets trouvés durant les fouilles, par exemple grâce à un contrôle strict de l’humidité sur le lieu d’entreposage: voilà l’objectif de la conservation préventive. La conservation curative, elle, vise à arrêter un processus de détérioration déjà en cours, par exemple en stabilisant chimiquement des métaux corrodés. «La clé sur laquelle je travaille actuellement fera probablement l’objet d’une stabilisation», fait remarquer David Cuendet. Quant à la restauration, elle renvoie aux actions visant une meilleure compréhension d’un objet ou d’un bien, par exemple en reconstituant un vase en céramique brisé.

Chaque mesure de conservation-restauration est décidée «suivant un processus collectif et interdisciplinaire» afin de regrouper le plus d’informations et de réalités possible, relève le responsable du laboratoire. Y sont notamment impliqués des archéologues, des anthropologues, des conservateurs-restaurateurs, des responsables muséaux et des conservateurs des monuments historiques.

A ce poste de travail du laboratoire de conservation du musée, on restaure de fragiles trouvailles. | Photos: Marion Bernet

De petites billes de verre ôtent la corrosion d’un artefact, couche après couche, dans la micro-sableuse.

Sous la couche rougeâtre, une clé romaine vieille de 2000 ans.

La radiographie révèle le panneton de la clé sous la couche de corrosion.

Les micro brosses permettent la mise à nu des structures délicates tout en les préservant.

Riche d’une expérience de près de trente ans au musée, David Cuendet a observé une évolution dans le métier. «Au fil des ans, on est devenus toujours moins interventionnistes.» Le but de la restauration n’est plus de rendre leur aspect originel aux objets mais d’aider à les remettre en situation. «Car hors de son contexte, un objet n’a aucun sens.»

Dans le cas de la clé sur laquelle le spécialiste est en train de travailler, la mise au jour de sa forme permettra peut-être de faire des associations avec d’autres objets trouvés durant les fouilles «et de comprendre pourquoi et comment elle était utilisée, de reconstituer un petit bout d’histoire». A l’inverse, un vase brisé à la fonction connue ne sera pas reconstitué à tout prix. Ou la réparation restera bien visible.

Les urnes funéraires sont d'abord radiographiées

Pour étayer leurs recherches, les conservateurs- restaurateurs du laboratoire s’appuient sur diverses techniques, notamment la tomographie, un examen d’imagerie permettant de connaître la constitution matérielle des objets. C’est grâce à cette technologie – que l’EPFL met à leur disposition – qu’ils sont parvenus à identifier des restes organiques dans la corrosion de trois épées montrées dans l’une des expositions temporaires du musée. Ces objets, qui datent de La Tène ancienne (Ve au IIIe siècle av. J.-C.), ont été trouvés lors de fouilles effectuées à Denges en 2021-2022.

Pour les radiographies simples, toujours plus utilisées, David Cuendet et ses collègues n’ont plus besoin de sortir du bâtiment. Plaçant délicatement la clé romaine en fer dans un boîtier prévu à cet effet, le spécialiste descend plusieurs marches et parcourt un long couloir menant dans une pièce où trône depuis deux ans un appareil de la forme et des dimensions d’un sauna privatif.

«Il faut toujours faire la part des choses entre informer le public – ce qui constitue la mission du musée – et protéger les objets.»David Cuendet

Un membre du laboratoire y dépose la clé. Quelques instants plus tard, la pièce antique apparaît sur un moniteur. Sous l’épaisse et informe couche de corrosion se dessinent son profil et les détails de construction. «La radiographie est un outil précieux. Elle nous fournit sans dégagement assez d’informations pour identifier l’objet et définir des priorités de traitement de conservation-restauration.» En s’appuyant sur cette technique, il est par exemple possible de déterminer si des urnes funéraires contiennent des objets présentant un intérêt propre, tels que des bracelets. «Dans le cadre des gigantesques fouilles de Vidy, cela fera gagner un temps bienvenu.»

Deux directeurs protègent un buste

David Cuendet récupère sa précieuse clé, toujours nichée dans un écrin sur mesure. Il note au passage que concevoir les boîtiers servant à stocker les objets fait aussi partie du cahier des charges de son laboratoire. C’est dans une ancienne centrale nucléaire, dans la commune de Lucens, que l’Etat de Vaud a trouvé la place nécessaire pour conserver les milliers de trésors déterrés lors de fouilles archéologiques. C’est là aussi que les commissaires d’exposition viennent «faire leur marché» en fonction des besoins thématiques.

Le Laboratoire de conservation-restauration est ensuite chargé d’évaluer les précautions à prendre afin que les objets ne pâtissent pas de leur exhibition: type de vitrine, intensité de la lumière, degré d’humidité, mesures de sécurité, etc. «Il faut toujours faire la part des choses entre l'information du public – ce qui constitue la mission du musée – et la protection des objets.»

David Cuendet, directeur du laboratoire de conservation du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne, porte une loupe serre-tête binoculaire. | Photos: Marion Bernet

Les pinceaux servent autant à la restauration archéologique qu’à la peinture.

Tout n’est pas toujours mortellement sérieux: une croix sous la hotte pour le travail avec des produits chimiques nocifs.

Il faut bien stocker quelque part le plâtre et les microbilles de verre.

Des copies de divers artefacts décorent la bibliothèque du laboratoire.

L’urne funéraire a été restaurée afin que le public puisse se rendre compte à quoi elle ressemblait autrefois.

Lors de prêts à d’autres institutions muséales, en Suisse ou à l’étranger, David Cuendet et son équipe collaborent étroitement avec leurs homologues externes. «Parfois, il faut refuser un déplacement, par exemple parce que l’objet est trop fragile.» D’autres cas nécessitent des mesures exceptionnelles. Le responsable du laboratoire cite l’exemple du célèbre – et coûteux – buste en or de Marc-Aurèle, pièce maîtresse de l’archéologie vaudoise, prêté l’an dernier à la collection Getty. «Ensemble, le directeur du Musée romain d’Avenches et celui du Musée cantonal vaudois d’archéologie et d’histoire ont fait le voyage aux Etats-Unis en avion avec la mallette qui contenait le buste», pour garantir sa sécurité.

«Un jour ou l’autre, tout objet est voué à la destruction – c’est dans l’ordre des choses.»David Cuendet

Nous faisons encore un détour par une autre salle. «Lorsqu’une pièce est particulièrement fragile ou sa détérioration avancée, elle doit être stabilisée.» Elle est par exemple immergée dans une cuve contenant du sulfite de sodium et de l’hydroxyde de sodium, qui permettent de solubiliser et d’extraire les chlorures. «On évite ainsi un éclatement de l’objet dû à la cristallisation des sels piégés dans la corrosion.» Une procédure qui, malgré toutes les précautions prises au préalable, peut présenter des risques de dommages. «Il s’agit alors de documenter auparavant consciencieusement l’objet en question, afin d’éviter toute perte d’informations.»

David Cuendet commente sereinement: «De toute façon, un jour ou l’autre, tout objet est voué à la destruction.» Les conservateurs-restaurateurs peuvent certes ralentir ce processus, «mais pas l’éviter, car il est dans l’ordre des choses». La finalité de leur métier se situe donc ailleurs: «Comprendre d’où nous venons et qui nous sommes pour savoir où nous allons.»