PORTRAIT
Tout en finesse entre souris et malformations
Le généticien Guillaume Andrey étudie le lien entre le développement des embryons et les malformations des membres. Pour cela, il a aussi besoin de souris – et s’engage afin qu’on en sacrifie un moins grand nombre pour la recherche.

Guillaume Andrey aime la génétique, car elle est si logique. Il souhaite préserver autant que possible la vie des souris de laboratoire. | Photo: Anoush Abrar
«Cela sert un but supérieur.» Cette phrase, Guillaume Andrey se la répète lorsqu’il doit euthanasier une souris. «Pour la plupart des scientifiques, moi y compris, l’expérimentation animal est tout sauf une partie de plaisir.» Il souligne aussi: «But supérieur ne signifie pas avec passe-droit». Pour le Valaisan, tout ce qui peut contribuer à réduire le nombre d’animaux sacrifiés au nom de la science doit être tenté. Au moment de lancer son propre groupe de recherche en 2018, le généticien n’a pas hésité à joindre les actes à la parole. Il a mis en place un protocole permettant d’abaisser d’environ 80% le nombre de souris nécessaires à ses travaux.
Le chercheur étudie les processus moléculaires contrôlant l’expression des gènes lors du développement embryonnaire. En collaboration avec la plateforme de transgenèse de l’Université de Genève, il a adapté et appliqué la méthode dite d’agrégation tétraploïde. Elle permet d’obtenir directement des embryons de souris porteurs d’une configuration génétique précise à partir de cellules souches modifiées en laboratoire et conservées dans de l’azote liquide.
«Quand nous en avons besoin, nous décongelons les cellules.» Cela évite de devoir élever et garder en vie plusieurs générations de souris. Les embryons dans lesquels les cellules souches décongelées sont insérées proviennent d’autres laboratoires où ils ont déjà servi à des expériences. Les embryons modifiés sont maintenant implantés dans une souris femelle. «Seules les femelles porteuses dans lesquelles nous transférons les embryons doivent être sacrifiées.»
Les efforts de Guillaume Andrey et de son équipe ont été couronnés en 2023 par le prix décerné par le Centre de compétence 3R. Il honore des travaux qui font avancer significativement le principe des 3R – le remplacement, la réduction et le raffinement de l’expérimentation animale. L’objectif: soit d’utiliser des méthodes de substitution à l’expérimentation animale soit – si un remplacement complet est impossible – de réduire le nombre d’animaux utilisés et d’alléger les contraintes sur ceux qui sont utilisés.
L'attrait de la précision sans zone grise
Lorsque Guillaume Andrey nous reçoit au cœur du labyrinthique site du Centre médical universitaire genevois, il commence par nous prier d’excuser son état de fatigue. Entre le bouclage de plusieurs publications scientifiques, sa demande de fonds européens et ses deux enfants en bas âge, il enchaîne les courtes nuits, précise-t-il. Il prend tout de même le temps de nous faire visiter son laboratoire et de nous présenter les huit membres de son groupe de recherche. Et aussi de répondre patiemment à nos questions. Il semble avoir hérité de la fibre pédagogique de ses parents, tous deux enseignants.
«Je n’ai pas choisi la discipline la plus simple à expliquer», admet-il. Et pourtant, «le côté redoutablement logique de la génétique lui confère aussi une forme de simplicité». A titre personnel également, le chercheur apprécie «ce qui est logique et prédictible». Il s’arrête, réfléchit et commente en riant: «Cela donne un peu l’impression que je suis plutôt carré d’esprit; mais ce que je veux dire, c’est que lorsque quelque chose ne se passe pas comme prévu, j’aime bien pouvoir retracer pourquoi.»
Et la génétique «permet d’obtenir des réponses claires et précises, sans zone grise». Mais ce qui l’a vraiment bluffé plus jeune, quand il a découvert cette discipline durant ses études de biologie, c’est que «la génétique jette un pont entre quelque chose de complètement invisible, le génome, et cette réalité visible et palpable que sont la peau ou les membres». Ainsi elle semble «donner du sens au monde qui nous entoure».
Les causes du pied bot
Et une fois pris dans les filets de la génétique, Guillaume Andrey en est resté prisonnier. Lui qui, adolescent, n’avait pas un profil d’élève modèle: «J’étais plutôt du genre à utiliser le kit de chimiste reçu en cadeau pour faire exploser des trucs et faire rigoler mes deux frères cadets» – se retrouve à mettre les bouchées doubles. En 2006, il décroche une place dans le programme national Frontiers in Genetics, qui offre aux doctorantes la possibilité de passer quelques mois dans divers laboratoires du pays. A Zurich, il planche sur la mouche drosophile, à Bâle, il travaille sur le développement de la rétine et à Lausanne, il étudie des virus.
Sa thèse à l’EPFL, le jeune chercheur l'a consacrée au développement des membres chez la souris. Les résultats de ses travaux révèlent notamment que le mécanisme présidant au développement du poignet est inscrit dans la structure du génome. Cette découverte contribue à lui ouvrir les portes de plusieurs instituts de recherche internationaux prestigieux. C’est au Max Planck Institute for Molecular Genetics de Berlin que Guillaume Andrey choisit de poser son microscope. Il y travaille sur le développement du squelette.
L’année 2018 marque le retour en Suisse – et à l’Université de Genève – du généticien. Il y met sur pied un laboratoire dont l’objectif est de comprendre comment le génome parvient à contrôler l’activité des gènes dans l’embryon. «Pour parvenir à construire une structure donnée, par exemple un membre, le génome doit trouver le moyen d’activer le bon gène au bon endroit et au bon moment; si une erreur se produit lorsque le génome dicte ses ordres, des malformations peuvent survenir.»
Durant ses premières années de recherche, le groupe Andrey a fait plusieurs découvertes qui ont connu un joli écho médiatique. Une étude centrée sur l’un des gènes impliqués dans la formation des membres inférieurs – Pitx1 – montre par exemple que même une petite perturbation dans le processus d’activation de ce gène peut entraîner un pied bot, l’une des malformations de la jambe les plus courantes.
De Genève à Genève
Guillaume Andrey (42) est professeur associé au Département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Né à Sion en 1982, il a étudié la biologie à l’Université de Genève avant de rejoindre, dans le cadre de sa thèse, le laboratoire du généticien Denis Duboule, alors rattaché à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Après un séjour postdoctoral au Max Planck Institute for Molecular Genetics de Berlin, le chercheur est retourné à l’Université de Genève en 2018. Guillaume Andrey vit à Genève avec sa compagne et leurs deux enfants.
En juin 2024, le laboratoire a publié les résultats d’une étude focalisée sur les régions régulatrices de l’activité des gènes dans les chondrocytes, les cellules à la base de la formation des os longs du corps lors du développement. «Nous avons fait une observation assez simple: les variations dans ces régions affectent directement la construction de notre squelette, donc notre taille.»
Fin 2024, Guillaume Andrey a décroché un nouveau subventionnement qui permettra à son laboratoire de poursuivre ses activités. Son équipe souhaite approfondir ses recherches sur la régulation des gènes lors du développement des membres. Il s’agira par exemple d’observer si des variations de courte durée dans l’activité des gènes peuvent avoir lieu et, si oui, quel est leur impact. Au lieu de se concentrer sur un moment précis du développement de l’embryon, l’équipe va monitorer l’entier du processus.
Poursuite de la réduction du nombre de souris
En parallèle, Guillaume Andrey va continuer à explorer les possibilités de réduire le nombre de souris nécessaires au bon fonctionnement du labo. «L’idéal serait de pouvoir se passer complètement des mères porteuses, mais on n’en est pas encore là.» Le cas échéant, une question éthique fondamentale demeurerait: «Si je fabrique un embryon sans avoir recours à une mère porteuse, quel sera son statut?»