Kijan Espahangizi exige davantage d’autocritique au sein de la théorie postcoloniale. | Photo: Jonathan Labusch

Kijan Espahangizi, fils d’une Allemande et d’un Iranien, historien à l’Université de Zurich, étudie notamment les migrations, le racisme et le multiculturalisme à travers la théorie postcoloniale, une approche qui polarise.

Kijan Espahangizi, qu’est-ce que la théorie postcoloniale?

C’est un champ ouvert et hétérogène avec un dénominateur commun: pour comprendre le monde actuel, il faut s’intéresser à la manière dont il a été façonné par le colonialisme européen. Les empires coloniaux passés ont encore un impact sur l’économie, la culture, la politique et la science. Cela fait depuis longtemps partie de la boîte à outils de nombreuses historiennes, sans qu’elles se considèrent pour autant comme représentantes de la théorie.

L’approche est pourtant contestée.

Historiquement, la théorie a toujours été étroitement liée aux questions politiques. Depuis l’embrasement du conflit autour de la bande de Gaza, le postcolonialisme est devenu l’objet de la lutte culturelle en cours. Certains y voient une idéologisation de gauche. Certaines représentantes de la théorie réduisent à l’inverse les objections critiques à une attaque de la droite.

«Les anciennes zones d’influence coloniales, la Chine, l’Inde, le Qatar, l’Arabie saoudite et l’Iran, sont devenues depuis longtemps des actrices globales.»

Et c’est cela que vous critiquez?

Oui, je pense qu’une telle mentalité défensive attise le conflit idéologique. Les sciences humaines et sociales sont synonymes de réflexion critique – aussi à l’égard de leurs propres conceptions. Il doit être possible de défendre l’autonomie scientifique contre les attaques politiques tout en critiquant certains aspects de sa propre théorie.

Quels aspects?

La théorie postcoloniale est un produit des années 1970. L’Occident criminel contre le reste du monde opprimé. Il y a là une tendance à penser en noir et blanc qui ne cadre pas avec notre monde multipolaire actuel. D’anciennes zones d’influence coloniales – la Chine, l’Inde, le Qatar, l’Arabie saoudite – sont depuis longtemps devenues des actrices globales. Les études postcoloniales ont du mal à porter un regard aussi critique sur l’impérialisme islamiste, russe et chinois. Du point de vue géopolitique, une critique sélective profite aux mauvaises parties.

En résumé: la théorie postcoloniale est elle-même eurocentriste.

(Il rit.) Oui, c’est une bonne observation. Des scientifiques perspicaces ont reconnu que, dans leur essence, les recherches postcoloniales ne répondent pas non plus à leurs propres exigences.

«Je trouve très bien que des étudiantes s’engagent pour un espace de discussion différenciée. C’est exactement ce dont nous avons besoin!
«

Vous avez récemment fait votre autocritique lors d’un débat public à Bâle. Cela a-t-il été bien accueilli?

Je trouve très bien que des étudiantes s’engagent pour un espace de discussion différenciée. C’est exactement ce dont nous avons besoin! Bien sûr, une partie du public ne voulait pas entendre de critiques. Or, je suis convaincu que ce n’est qu’une minorité bruyante. Hélas, l’esprit de clan s’est aussi fait sentir sur le podium – selon la devise: la critique doit rester en famille. Cela nuit à la relation entre science et public. Après tout, nous ne sommes pas un parti politique.