DÉBAT
Faut-il enseigner la transdisciplinarité en début d’études?
Pour résoudre les problèmes sociétaux, la science doit aussi intégrer les acteurs sociaux dans le processus de connaissance. Les étudiants peuvent-ils l’apprendre cela avant de se spécialiser?
La réalité n’est pas divisée en disciplines et l’élaboration de solutions nécessite des connaissances très diverses. Comme les disciplines ont évolué au fil du temps, l’histoire des idées est essentielle pour comprendre que la recherche par disciplines, certes importante, ne suffit pas à elle seule à assurer le développement du savoir. Cela ne signifie pas que les disciplines disparaissent, mais que les cloisonnements, si. Ou que ces derniers ne doivent pas advenir.
Dans le «Faust» de Goethe, Mephisto tente de convaincre un étudiant d’accepter une approche scientifique sans critiquer: «Le mieux est, dans ces leçons-là, si toutefois vous en suivez, de jurer toujours sur la parole du maître. Au total … Tenez-vous en aux mots! Et vous arriverez alors par la route la plus sûre au temple de la certitude.» Cela me semble très actuel, car des dissonances apparaissent lors des études. En agronomie ou en sciences de l’environnement, on enseigne ainsi une économie néoclassique orientée vers la croissance, mais en même temps aussi les limites de la planète. Une conséquence de cela est l’hypothèse répandue que la productivité agricole est incompatible avec la protection de la nature. Cette dichotomie est aussi liée à une séparation cognitive entre l’être humain et la nature. Des scientifiques indigènes nous disent que la science occidentale n’a qu’une compréhension rudimentaire du monde vivant. Et de fait, depuis Galilée et Newton, cette science est parfaitement adaptée à un monde d’objets inanimés. S’ouvrir à la co-création peut apporter ici davantage que ce que la science a réussi à livrer jusqu’à présent, par exemple développer une compréhension relationnelle allant vers le lien et la responsabilité.
La transdisciplinarité reconnaît fondamentalement la légitimité et l’égalité de différents systèmes scientifiques. Elle ouvre les yeux sur le fait qu’il existe différentes conceptions de la réalité et qu’elles ont des conséquences, elles aussi, différentes. Bien sûr, cela ne doit en aucun cas déboucher sur une routine bornée. Mais il s’agit ici d’encourager l’indépendance d’esprit, selon le principe des Lumières formulé par Kant «sapere aude»: ose penser par toi-même – ou encore sers-toi de ta propre raison. Une ouverture épistémologique constituerait par conséquent dès le départ un progrès.
Johanna Jacobi est professeure assistante en transition agroécologique à l’ETH Zurich. Elle mène des recherches sur la démocratisation des systèmes agricoles et alimentaires.
Avant de pouvoir faire de la recherche transdisciplinaire, nous devons être compétents dans une discipline spécifique. Le progrès des connaissances est si rapide que notre domaine de compétences est toujours plus restreint. Dès que nous avons nos propres compétences de base en médecine, en sociologie ou en sciences de l’environnement et que nous commençons nos propres recherches, nous remarquons rapidement quel savoir spécialisé nous manque. Collaborer avec des partenaires nous permet de combler ces lacunes. La recherche transdisciplinaire devient importante dans tous les domaines pour résoudre les problèmes sociétaux complexes, comme le recommande aussi l’OCDE. Les scientifiques invitent alors les autorités et les acteurs sociaux à participer à la résolution des problèmes grâce à leurs connaissances pratiques. L’expérience montre que cela se fait en général au niveau du doctorat ou après.
Il est bien entendu judicieux de se familiariser avec les bases de la transdisciplinarité dès le premier cycle. Mais avant que les jeunes chercheurs les appliquent, il est fort probable qu’ils les aient oubliées. Selon moi, c’est au niveau du master que l’on apprend le plus efficacement les méthodes correspondantes. Pour cela, nous avons développé un cours en ligne avec le Réseau pour la recherche transdisciplinaire des Académies suisses des sciences.
En pratique, cela se passe ainsi: un doctorant palestinien a appris les bases dans nos cours et a mené à Ramallah un processus participatif et transdisciplinaire sur l’hygiène et les bactéries résistantes aux antibiotiques dans la production de volaille. Les productrices, les négociants, les bouchers, les autorités vétérinaires, les services de santé et les scientifiques ont participé à plusieurs réunions et identifié les problèmes les plus urgents. Le doctorant a servi de médiateur entre ces différents groupes et s’est assuré que tous puissent s’exprimer. Reconnu comme un expert, il a été accepté comme modérateur de la discussion. Une étudiante suisse en master a participé au projet et a ainsi appris les bases des processus transdisciplinaires. Elle pourra elle-même les appliquer pour ses recherches ultérieures.
Jakob Zinsstag est professeur d’épidémiologie à l’Institut tropical et de santé publique suisse. Il mène des recherches sur les interdépendances entre la santé des êtres humains et des animaux, et il était récemment aux Nations unies en tant que diplomate scientifique.
La réalité n’est pas divisée en disciplines et l’élaboration de solutions nécessite des connaissances très diverses. Comme les disciplines ont évolué au fil du temps, l’histoire des idées est essentielle pour comprendre que la recherche par disciplines, certes importante, ne suffit pas à elle seule à assurer le développement du savoir. Cela ne signifie pas que les disciplines disparaissent, mais que les cloisonnements, si. Ou que ces derniers ne doivent pas advenir.
Dans le «Faust» de Goethe, Mephisto tente de convaincre un étudiant d’accepter une approche scientifique sans critiquer: «Le mieux est, dans ces leçons-là, si toutefois vous en suivez, de jurer toujours sur la parole du maître. Au total … Tenez-vous en aux mots! Et vous arriverez alors par la route la plus sûre au temple de la certitude.» Cela me semble très actuel, car des dissonances apparaissent lors des études. En agronomie ou en sciences de l’environnement, on enseigne ainsi une économie néoclassique orientée vers la croissance, mais en même temps aussi les limites de la planète. Une conséquence de cela est l’hypothèse répandue que la productivité agricole est incompatible avec la protection de la nature. Cette dichotomie est aussi liée à une séparation cognitive entre l’être humain et la nature. Des scientifiques indigènes nous disent que la science occidentale n’a qu’une compréhension rudimentaire du monde vivant. Et de fait, depuis Galilée et Newton, cette science est parfaitement adaptée à un monde d’objets inanimés. S’ouvrir à la co-création peut apporter ici davantage que ce que la science a réussi à livrer jusqu’à présent, par exemple développer une compréhension relationnelle allant vers le lien et la responsabilité.
La transdisciplinarité reconnaît fondamentalement la légitimité et l’égalité de différents systèmes scientifiques. Elle ouvre les yeux sur le fait qu’il existe différentes conceptions de la réalité et qu’elles ont des conséquences, elles aussi, différentes. Bien sûr, cela ne doit en aucun cas déboucher sur une routine bornée. Mais il s’agit ici d’encourager l’indépendance d’esprit, selon le principe des Lumières formulé par Kant «sapere aude»: ose penser par toi-même – ou encore sers-toi de ta propre raison. Une ouverture épistémologique constituerait par conséquent dès le départ un progrès.
Johanna Jacobi est professeure assistante en transition agroécologique à l’ETH Zurich. Elle mène des recherches sur la démocratisation des systèmes agricoles et alimentaires.
Avant de pouvoir faire de la recherche transdisciplinaire, nous devons être compétents dans une discipline spécifique. Le progrès des connaissances est si rapide que notre domaine de compétences est toujours plus restreint. Dès que nous avons nos propres compétences de base en médecine, en sociologie ou en sciences de l’environnement et que nous commençons nos propres recherches, nous remarquons rapidement quel savoir spécialisé nous manque. Collaborer avec des partenaires nous permet de combler ces lacunes. La recherche transdisciplinaire devient importante dans tous les domaines pour résoudre les problèmes sociétaux complexes, comme le recommande aussi l’OCDE. Les scientifiques invitent alors les autorités et les acteurs sociaux à participer à la résolution des problèmes grâce à leurs connaissances pratiques. L’expérience montre que cela se fait en général au niveau du doctorat ou après.
Il est bien entendu judicieux de se familiariser avec les bases de la transdisciplinarité dès le premier cycle. Mais avant que les jeunes chercheurs les appliquent, il est fort probable qu’ils les aient oubliées. Selon moi, c’est au niveau du master que l’on apprend le plus efficacement les méthodes correspondantes. Pour cela, nous avons développé un cours en ligne avec le Réseau pour la recherche transdisciplinaire des Académies suisses des sciences.
En pratique, cela se passe ainsi: un doctorant palestinien a appris les bases dans nos cours et a mené à Ramallah un processus participatif et transdisciplinaire sur l’hygiène et les bactéries résistantes aux antibiotiques dans la production de volaille. Les productrices, les négociants, les bouchers, les autorités vétérinaires, les services de santé et les scientifiques ont participé à plusieurs réunions et identifié les problèmes les plus urgents. Le doctorant a servi de médiateur entre ces différents groupes et s’est assuré que tous puissent s’exprimer. Reconnu comme un expert, il a été accepté comme modérateur de la discussion. Une étudiante suisse en master a participé au projet et a ainsi appris les bases des processus transdisciplinaires. Elle pourra elle-même les appliquer pour ses recherches ultérieures.
Jakob Zinsstag est professeur d’épidémiologie à l’Institut tropical et de santé publique suisse. Il mène des recherches sur les interdépendances entre la santé des êtres humains et des animaux, et il était récemment aux Nations unies en tant que diplomate scientifique.