Symbiose
Sous terre, les champignons sauvent les forêts
Lorsqu’ils collaborent bien, les mycorhizes et les arbres se portent au mieux. Comment cette symbiose peut servir dans la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique.
L’union fait la force, surtout entre les plantes et certains champignons qui vivent en symbiose avec leurs racines. Et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de la lutte contre le changement climatique. Une réponse prometteuse en la matière nous vient de la nature elle-même et réside dans la collaboration étroite entre certains champignons et les racines des plantes. Cette association a été décrite pour la première fois il y a environ 140 ans par le biologiste allemand Albert Bernhard Frank. Lorsqu'il a voulu évaluer la possibilité de cultiver les truffes en Prusse, il s’est rendu compte que la partie souterraine de ces champignons est tellement unie aux racines des arbres qu’elle forme une sorte d’organe à part qu’il a baptisé mycorhize, du grec «myco» signifiant champignon et «rhize» qui désigne la racine.
Depuis, des milliers de publications scientifiques ont confirmé l’importance de cette relation apparue avec les premières plantes il y a quelques millions d’années. Il s’agit d’ailleurs probablement de la forme de symbiose la plus répandue et la plus importante dans les écosystèmes terrestres. La variété des mycorhizes est de plus énorme et les espèces de champignons ont continué à se spécialiser sans cesse en parallèle à l’évolution des plantes.
Comme l’explique Martina Peter, cheffe de groupe à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL, il existe deux grands types de mycorhizes: l’endomycorhize ou mycorhize arbusculaire, qui pénètre à l’intérieur des racines, particulièrement importante pour l’agriculture et les arbres à fruit, et l’ectomycorhize, qui concerne essentiellement des arbres résineux et les fagales (hêtre, chêne, bouleau, etc.) de nos forêts ainsi que des forêts boréales. Plus de 2000 espèces et près d’un tiers des fructifications de champignons visibles à l’œil nu sont des champignons mycorhiziens. Les truffes, le bolet bai, la russule charbonnière, le lactaire délicieux, la chanterelle ainsi que des champignons vénéneux comme l’amanite tue-mouches et l’amanite phalloïde en sont quelques exemples parmi d'autres.
Un tampon contre la sécheresse
«Parmi les plantes terrestres, 80% vivent en symbiose avec des champignons du sol qui exercent une influence positive sur leur croissance et aussi sur le rendement des cultures», explique Marcel van der Heijden, chef du groupe de recherche sur les interactions plantes-sol à Agroscope et professeur d’agroécologie à l’Université de Zurich. Les champignons reçoivent du sucre et des acides aminés produits par la photosynthèse des plantes. En échange, ils fournissent aux plantes de l’eau et des éléments nutritifs, comme l’azote et le phosphore. «Les champignons offrent ainsi un véritable soutien nourricier, d’autant plus important dans les conditions de stress causées par les agressions dues aux pathogènes, à la chaleur et à la sécheresse ainsi qu’aux produits polluants», précise le scientifique.
Martina Peter compare la mycorhize à une sorte de tampon vivant: «Lors d’expériences menées dans des parcelles de forêts très sèches en Valais, nous avons observé des changements marqués dans les communautés de champignons pendant les périodes de sécheresse et de chaleur. Certaines espèces meurent, d’autres résistent et se propagent.» Les effets de la chaleur et de la sécheresse sur les arbres seraient atténués. Les changements se produisent rapidement et sont probablement réversibles. Selon Marcel van der Heijden, ces réactions des mycorhizes ne pourront toutefois pas sauver tous les écosystèmes des conditions de plus en plus extrêmes, loin s'en faut. Néanmoins, elles renforcent la résilience des communautés végétales, réduisent le stress des plantes et stabilisent les écosystèmes.
L’idée d’utiliser cet atout naturel apparaît comme une évidence. Il s’agit de soutenir la résistance à la sécheresse et à la chaleur en inoculant certains champignons dans le sol. Plus de 100 espèces de champignons mycorhiziens de ce type ont déjà été isolées en Suisse et divers essais ont été lancés sur le terrain. L’inoculation de ces champignons à la communauté microbienne du sol constitue «un outil précieux pour l’agriculture», estime Marcel van der Heijden. Non seulement il enrichit le sol et le rend plus résistant au stress, mais il contribue également à la séquestration du carbone, se prête en outre à la culture biologique et favorise ainsi la biodiversité des écosystèmes, ce qui est à son tour inestimable pour des sols et des plantes résistants. «C’est un type de fertilisation naturel qui ne nécessite pas d’avoir recours à des substances chimiques qui, par ailleurs, fragilisent les réseaux fongiques», indique-t-il.
Les résidus azotés de la fertilisation agricole et les émissions d’oxyde d’azote du trafic automobile sont de dangereux ennemis des champignons symbiotiques. «Dans les forêts et sur les sols naturels, les plantes et les champignons se sont adaptés à de faibles concentrations d’azote», note Martina Peter. Lorsque les sols sont trop riches en azote, les arbres ont tendance à investir dans les parties supérieures et produisent moins de sucre pour les racines et les champignons. Cela peut priver les champignons de leur base vitale. La diversité des communautés de champignons diminue donc, certaines espèces meurent et ne sont plus remplacées par d’autres. Leur rôle tampon contre le stress s’en trouve amoindri.
Changements trop rapides
Mais la vaccination par les champignons a aussi ses inconvénients. «N’est-il pas dangereux d’intervenir dans la richesse du sol?», s’interroge Martina Peter. La question se pose surtout en forêt. «L’idéal serait de faire confiance à la résistance de la nature, car en voulant résoudre un problème, on en provoque éventuellement un autre.» Mais elle note que «les changements dus au réchauffement climatique sont rapides et nous voyons déjà que certains arbres tels les hêtres n’arriveront probablement pas à s’adapter à temps.»
C'est pourquoi les deux scientifiques ont à cœur de poursuivre l’analyse des champignons mycorhiziens et de leurs propriétés. L’objectif est de les préserver au mieux afin qu’ils puissent à leur tour contribuer à sauver des plantes utiles et des arbres. «Tant qu’ils survivent, des espèces mieux adaptées qui soutiennent les plantes peuvent se développer», conclut Martina Peter.