SURDOUANCE
Leur QI explose le système
Il y a quelques années, les enfants surdoués n’étaient guère bienvenus dans les universités en Suisse. Désormais, celles-ci s’efforcent davantage d’accueillir de jeunes talents d’exception dans leurs communautés. Tour d’horizon.
A 14 ans déjà, Kathryn Hess a commencé ses études à l’Université du Wisconsin-Madison aux Etats-Unis. Elle ne l’a jamais regretté. Au téléphone, elle plaisante au sujet de son QI «suffisamment élevé». Elle est professeure de mathématiques et vice-présidente associée des affaires estudiantines et de l’outreach (AVP-SAO) de l’EPFL. «Les universités américaines sont très flexibles et intéressées par les étudiantes douées. Si j’avais vécu en Suisse à l’époque, j’aurais peut-être pris une autre voie.» C’est ce qu’a vécu Maximilian Janisch, au QI supérieur à 149. Son histoire a fait la une des médias en 2011, quand l’ETH Zurich l’a refusé, le jugeant trop jeune à 9 ans. Il a ensuite étudié à Perpignan.
«Encore aujourd’hui, certaines universités jugent inutile de rechercher des étudiants à haut potentiel, car elles ont déjà une bonne réputation, note Regula Haag, directrice de la Fondation pour les enfants surdoués à Zurich. D’autres ont compris l’importance de recruter ces talents. Sinon, ils s’en vont aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.» Dans la compétition acharnée pour attirer les meilleurs cerveaux, afin d’obtenir de meilleurs classements et plus de ressources, les universités suisses montrent désormais un intérêt accru et lancent des initiatives pour attirer et garder les jeunes surdoués. Les expertes s’accordent toutefois à dire qu’il existe encore un potentiel d’optimisation.
Un enfant est considéré comme surdoué s’il obtient des résultats intellectuels supérieurs à la moyenne dans une ou plusieurs matières, ce qui se traduit en général par un score supérieur à 130 au test de QI. «Ces enfants veulent plus approfondir les matières et apprendre plus vite», note Regula Haag. Ils risquent donc de s’ennuyer, de déprimer ou d’obtenir de mauvais résultats. Il peut donc être judicieux qu’ils sautent des classes et aillent à l’université dès l’adolescence.
Ces dix dernières années, les hautes écoles du pays ont commencé à proposer des programmes attrayants pour ces jeunes dans des écoles de niveau maturité. L’EPFL a par exemple lancé le cours Euler de mathématiques, destiné à une trentaine d’élèves au-dessus de la moyenne, mais pas nécessairement très doués. Les universités de Zurich, Berne, Bâle, Lucerne et Genève proposent des programmes spéciaux, notamment en sciences naturelles et de l’ingénierie, en technique et en mathématiques. Souvent, ces jeunes y ont la possibilité d’obtenir des crédits et de faire la première année de leur bachelor.
Atteindre des enfants doués issus de tous milieux sociaux et horizons est toutefois difficile. Les filles sont sous-représentées dans l’encouragement de jeunes surdoués. «Les garçons ont plus l’esprit de compétition, les filles sont plus enclines à s’adapter et à ne pas perdre leurs amitiés plutôt qu’à se vanter ou à sauter des classes», note Katarina Farkas, qui fait de la recherche sur le talent à la Haute école pédagogique de Zoug.
Kathryn Hess de l’EPFL fait remarquer que les programmes spéciaux s’adressent plutôt aux jeunes issus du milieu académique, alors que d’autres n’ont même pas l’idée de les suivre. Elle plaide donc pour une offre diversifiée et des programmes de sensibilisation ciblés.
Pour pouvoir étudier dans une université suisse, les jeunes surdoués doivent, comme les autres, remplir les critères d’admission. Certes, il n’y a en général pas de limite d’âge, mais la maturité est une condition préalable. «Nous veillons beaucoup à l’égalité de traitement, ce qui est juste, mais dans des cas exceptionnels, nous pourrions interpréter les règles de manière plus souple», dit Kathryn Hess.
L’intelligence est une chose. Mais ces enfants sont-ils socialement et psychologiquement à la hauteur d’un environnement adulte? «Chaque cas est différent, mais si l’enfant est soutenu par l’école et fait preuve d’autonomie, l’âge n’est pas un problème», constate Regula Haag de la fondation zurichoise.
Une étude de l’Université Vanderbilt (Tennessee), datant de 2021 a examiné les effets psychologiques et sociaux de l’accélération académique chez les élèves surdoués sur une période de plus de 35 ans et n’a pas trouvé de raison de s’inquiéter. Pour Katarina Farkas, il faut cependant se garder de trouver dans ces aspects positifs une excuse pour ne pas leur accorder une attention particulière: «Si l’enfant a de la peine, nous devons lui apporter un soutien professionnel.» Elle suggère de mettre en place un mentorat pour les étudiants à haut potentiel. Regula Haag se souvient de cas de jeunes «très doués entrés à ETH Zurich qui ont raté leur premier examen parce qu’il leur fallait étudier mais qu’ils ignoraient comment s’y prendre, puisqu’ils n’en avaient jamais eu besoin auparavant!» Et beaucoup de ces étudiants et étudiantes surdoués seraient plus heureux s’ils pouvaient sauter des cours de base lesquels leur paraissent ennuyeux même au niveau universitaire. Des universités américaines vont jusqu’à offrir un enseignement sur mesure et même des opportunités de faire de la recherche très tôt. Mais, dans le processus de Bologne suisse, les cursus sont standardisés et difficiles à modifier.
Jusqu’ici, le coaching et les cours sur mesure ne sont proposés qu’au second cycle. «Dans leur quête du prochain Prix Nobel, les universités pensent que le soutien doit commencer dès le stade du doctorat», dit Claus Beisbart, qui coordonne le programme de l’Université de Berne pour les élèves surdoués du secondaire. «Mais nous devrions y réfléchir plus tôt.» Un gros obstacle est celui des ressources et du personnel. Regula Haag estime que de petits changements pourraient déjà aider et propose d’intégrer des mentors expertes en surdouance dans les conseils universitaires suisses. Permettre aux jeunes surdoués de développer leur don serait une stratégie gagnante tant pour eux-mêmes que pour les facultés et la société. «Si nous veillons sur les personnes surdouées et les aidons dans leur développement, elles pourront contribuer à résoudre certains problèmes de notre société», conclut Katarina Farkas.