Architecture
Les maisons de demain sont développées aujourd’hui en laboratoire
Un gel aéré pour une meilleure isolation, une nouvelle construction à partir d’anciens pylônes électriques et de l’air nocturne dans la climatisation: six nouvelles technologies rafraîchissantes pour une construction écologique des bâtiments.
Un nouveau bijou issu d’une construction ancienne
Par le passé, on réutilisait souvent les éléments des bâtiments anciens pour en construire de nouveaux. La pratique s’est perdue à mesure que la mécanisation facilitait la fabrication de matériaux neufs. A l’EPFL, Corentin Fivet veut remettre ce principe au goût du jour avec l’algorithme Phoenix 3D. A partir d’éléments récupérés sur d’autres constructions, le logiciel calcule automatiquement la structure constructible la plus écologique.
Disponible en open source, il a notamment servi au bureau Rapp Architects pour concevoir la façade du bâtiment Energie Kosmos, près de Bâle, avec de vieux pylônes électriques. «A l’avenir, notre algorithme ne donnera pas seulement la solution la plus efficace du point de vue environnemental, il permettra aussi de prendre en compte d’autres critères difficiles à mesurer, comme l’apparence ou les processus de mise en œuvre», explique Corentin Fivet. Son équipe travaille également au développement d’algorithmes visant à faciliter le réemploi de dalles en béton issues de bâtiments voués à la démolition.
Une argile stable grâce au ciment à la magnésie
L’une des meilleures alternatives au béton se trouve juste sous nos pieds: la terre. Chaque année en Suisse, le secteur de la construction en excave environ 100 millions de mètres cubes, l’équivalent de 25 pyramides de Chéops. La terre crue – par opposition à la terre cuite, qui désigne les briques – présente un bilan CO2 bien plus avantageux que le béton. Elle peut remplacer ce dernier, parfois même pour les murs porteurs des bâtiments, comme c’est le cas pour le Ricola Kräuterzentrum – une maison des plantes – à Laufen, le plus grand bâtiment en pisé d’Europe.
Le problème: il faut souvent la renforcer avec de grosses quantités de ciment et de chaux, ce qui réduit son efficacité carbone. A l’Empa, Ellina Bernard développe un ciment à base de magnésie pour consolider la terre crue. Cet additif émet peu de carbone, et certains procédés de fabrication peuvent même en séquestrer. «A terme, les ciments magnésiens permettront peut-être à la terre crue stabilisée d’atteindre un bilan CO2 neutre, voire négatif», explique-t-elle.
Le gel rempli de gaz isole parfaitement
Imaginez un gel dont les liquides sont remplacés par des gaz. C’est un aérogel: un matériau ultraléger, composé à plus de 99% d’air. Piégé dans des pores de très petite taille, l’air joue le rôle de super-isolant thermique. De quoi permettre la construction de bâtiments ultra-efficients du point de vue énergétique. Cependant, les aérogels sont de conception et de fabrication délicates. Leur structure à l’échelle nanométrique est difficile à observer et à analyser.
A l’Empa, Sandra Galmarini et ses collègues créent des modèles informatiques pour optimiser le développement de ces matériaux. Il s’agit de comprendre et, surtout, de prévoir comment les paramètres de fabrication déterminent la structure nanométrique des aérogels.
Plutôt que de procéder par tâtonnement, comme aujourd’hui, scientifiques et industriels disposeront d’un outil permettant d’aboutir plus directement aux propriétés souhaitées.
De l’argile dans le ciment rend le béton plus vert
Le béton représente à lui seul environ 8% des émissions mondiales de CO2. Un bilan peu reluisant que Franco Zunino, ingénieur en science des matériaux à l’ETH Zurich, compte améliorer. Le chercheur combine deux approches: utiliser un ciment à basses émissions et, surtout, en utiliser moins. Comme une colle, le ciment assure la cohésion des agrégats dans le béton. Celui que développe Franco Zunino présente de très basses émissions, notamment grâce à l’intégration d’argiles.
Pour en utiliser moins, le chercheur limite l’espace vide entre les agrégats en jouant sur leur taille et leur forme. «Cette double stratégie permet d’obtenir un béton qui émet 75% de CO2 en moins par rapport aux matériaux traditionnels, tout en présentant des caractéristiques mécaniques et de durabilité similaires», explique-t-il.
Pour l’instant, son béton ultra-vert est moins fluide et plus difficile à travailler. Pour résoudre ce problème, Franco Zunino teste de nouvelles formulations d’adjuvants chimiques.
Exploiter le potentiel de l’ombre et de l’air frais nocturne
En Suisse, la plupart des immeubles résidentiels sont dépourvus de climatisation. La situation est appelée à évoluer avec le changement climatique et les canicules estivales toujours plus fréquentes, longues et intenses.
Une équipe de l’Empa a déterminé qu’en 2050 les besoins en climatisation des Suisses pourraient représenter un peu plus de 10 térawattheures, soit environ 4% de la demande nationale annuelle en électricité.
Une importante facture que deux mesures relativement simples pourraient réduire de plus de 80%: des fenêtres ombrées pour atténuer l’effet de serre en journée et des systèmes laissant circuler l’air au plus frais de la nuit.
Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont simulé non seulement la demande future en climatisation, mais aussi le parc immobilier suisse et ses caractéristiques physiques, les diverses météos locales, la configuration urbaine et les comportements de la population.
Plantes et cellules solaires: au-delà de la simple façade
Les surfaces verticales des bâtiments offrent un potentiel inexploité. Habillées de panneaux solaires ou de verdure, elles permettent aux îlots urbains de mieux affronter les canicules en alimentant les climatisations ou en rafraîchissant l’atmosphère par évaporation.
Des panneaux ou des plantes, quelle est la solution la plus pertinente? Une équipe lucernoise veut y répondre et a déployé sur le campus quatre façades vertes, végétalisées ou couvertes de panneaux. «S’il faut chiffrer les résultats, le photovoltaïque l’emporte toujours sur la végétation en termes purement énergétiques», note Silvia Domingo, chercheuse au sein du projet. Mais les façades plantées présentent des avantages plus intangibles et difficiles à évaluer. «Elles améliorent la qualité de l’air, rafraîchissent le climat urbain, contribuent à la biodiversité et sont un argument marketing pour les promoteurs car les gens les apprécient.» Le groupe lucernois penche pour des façades mixtes parées de plantes aux étages inférieurs, pour rafraîchir et embellir les rues, et de panneaux solaires plus haut.
Illustrations: Elisa Debora Hofmann