REPORTAGE
A l’étable de haute sécurité
Alors que le virus de la grippe aviaire sévit régulièrement dans nos contrées, la peste porcine africaine se répand dans les pays voisins. A Mittelhäusern, les scientifiques du laboratoire national pour les épizooties hautement contagieuses tentent de trouver des moyens de combattre ces maladies animales.
Katarzyna Sliz est entourée de six porcs – des truies et des mâles castrés, tous âgés de 6 mois – qui poussent ses mains avec leur groin. «Ils savent très bien qui les nourrit», dit la gardienne en souriant. Lorsqu’elle verse un peu de granulés dans le box, les animaux se bousculent pour chercher la nourriture dans la paille. C’est bon signe: «Des porcs en bonne santé ont toujours de l’appétit», dit Katarzyna Sliz. En ce mardi matin de fin avril, ils sont voraces et éveillés. Huit semaines plus tôt, ils étaient encore gravement malades, infectés par le virus de la peste porcine africaine.
Cette maladie hautement contagieuse touche les porcs domestiques et les sangliers. Et son issue est presque toujours fatale: les animaux infectés succombent en sept à dix jours. Si les porcs de l’étable de haute sécurité de l’Institut de virologie et d’immunologie (IVI) de Mittelhäusern (BE), le laboratoire de référence suisse pour les épizooties hautement contagieuses, sont encore en vie, c’est parce qu’on leur a inoculé une forme affaiblie du virus. «Il manque à ce variant naturel rare de grandes portions du génome qui jouent un rôle clé dans sa virulence», explique Nicolas Ruggli. Le virologue et vétérinaire dirige l’élevage des animaux et les expérimentations menées sur ceux-ci à l’IVI. Avec son équipe, il utilise le virus atténué pour étudier comment le système immunitaire peut s’en défendre. Une observation qu’il est impossible de mener chez les porcs infectés par le virus mortel, bien plus fréquent, puisqu’ils meurent avant même d’avoir pu générer une réponse immunitaire adaptée à l’agent pathogène.
La peste porcine africaine s’est déjà largement propagée en Europe, aussi chez nos voisins d’Allemagne et d’Italie. Ce virus est d’une résistance extrême et peut survivre des mois durant dans des produits carnés tels que le salami tout en restant contagieux. Inoffensif pour l’être humain, l’agent pathogène pourrait être dévastateur pour les porcs domestiques et les sangliers indigènes. «Il faut donc être préparés et en apprendre le plus possible sur la façon dont le virus agit et sur les possibilités de l’arrêter», souligne Nicolas Ruggli.
Une porcherie propre
Les six porcs de l’étude à l’IVI ont été malades pendant une vingtaine de jours. Le virus a provoqué de la fièvre, parfois élevée, et une grande faiblesse. Même après leur guérison, l’agent pathogène se trouve toujours dans leur sang, de même que des anticorps et des cellules T spécialisés produits par leur système immunitaire. Une fois par mois, Katarzyna Sliz leur prélève du sang. L’équipe de Nicolas Ruggli analyse entre autres l’ARN messager des cellules T dans ces échantillons sanguins. Leur composition révèle en effet quelles protéines ont été formées lors de la réponse immunitaire et quelles voies de transmission des signaux ont été activées. «Nous pouvons alors en déduire quels composants devraient être stimulés par une vaccination», explique le chercheur.
Hormis les prises de sang régulières, la vie des porcs dans les étables de haute sécurité de l’IVI est similaire à celle de leurs congénères. Elle est peut-être un peu plus intéressante, puisque, ici, les animaux disposent de jouets, dont des tuyaux en caoutchouc et un panier à foin suspendu au plafond. Et il existe une différence notable: la propreté des lieux. La litière de leur box est changée tous les jours et les animaux sont douchés chaque matin, comme le fait Katarzyna Sliz lors de notre visite. Une propreté absolue est indispensable pour la recherche: «Pendant une expérience, les conditions régnant dans l’étable doivent autant que possible être toujours identiques, explique la gardienne. Le plus simple est d’être très pointilleux sur la propreté.»
Les mesures de sécurité imposées aux humains ne sont pas non plus les mêmes que dans une étable ordinaire. Pour pénétrer dans l’aile de haute sécurité et rejoindre les porcs, Katarzyna Sliz et Nicolas Ruggli doivent passer trois sas et changer trois fois de tenue, dont deux fois jusqu’aux sous-vêtements. Pour en sortir, la procédure est plus compliquée: toute personne qui a côtoyé des porcs infectés doit se dévêtir, se doucher pendant trois minutes et se savonner deux fois, cheveux y compris. Un système de contrôle automatique veille au grain. La personne qui ne reste pas assez longtemps sous la douche et n’appuie pas au moins trois fois sur le robinet ne peut pas sortir. Il est exclu qu’un agent pathogène s’échappe.
Après avoir changé de vêtements, les scientifiques peuvent accéder à la zone au niveau de sécurité directement inférieur. Ici, pas d’animaux infectés, mais des laboratoires de recherche sur les agents pathogènes. Le prochain sas se trouve à la sortie de cette aile du bâtiment. A nouveau, il faut passer par la douche pour sortir et accéder au bâtiment voisin abritant des laboratoires et des bureaux ordinaires. Toute personne qui s’est rendue dans le périmètre de haute sécurité a de plus l’interdiction de s’approcher du bétail pendant 72 heures.
Outre la peste porcine, les scientifiques de l’IVI étudient d’autres épizooties hautement contagieuses, telle la fièvre aphteuse qui touche bovins, porcs, moutons et chèvres. A maintes reprises, la maladie a obligé les éleveurs à abattre tout leur troupeau pour en empêcher la propagation. Les travaux de l’IVI portent encore sur des infections touchant les oiseaux et la volaille. Dont la maladie de Newcastle, présente dans le monde entier, ou de la grippe aviaire H5N1 qui peut aussi contaminer les êtres humains. En Suisse, c’est en février dernier que l’on a trouvé des victimes de ce virus: deux hérons cendrés et un pélican morts au parc animalier de Berne. L’agent pathogène de la grippe aviaire est d’abord déterminé par le laboratoire national de référence pour les maladies de la volaille et des lapins (NRGK) à Zurich. Ensuite, ce sont les spécialistes de l’IVI qui analysent les échantillons de manière approfondie.
Un niveau de sécurité plus bas et un sas plus loin, Katarzyna Sliz vérifie encore comment se porte une couvée de poules. Elles ne sont pas infectées, mais sous l’observation attentive de la gardienne. Si l’une d’entre elles présentait un plumage hérissé ou laissait tomber sa tête, ce serait un signe de maladie. Mais aujourd’hui, tout va bien. Les poules somnolent paisiblement ou grattent dans la paille. Lorsque la chercheuse leur lance des graines, toutes accourent joyeusement. Katarzyna Sliz en profite pour récolter leurs oeufs. Les embryons fécondés de quelques jours vont, par exemple, servir à multiplier le virus de la grippe aviaire en laboratoire et à mener d’autres travaux de recherche et de diagnostic.
Toujours en avance sur l’agent pathogène
Des boeufs, des moutons, des chèvres, des lapins, des cochons d’Inde et des souris sont également détenus et examinés à l’IVI. C’est pourquoi les étables des différents niveaux de sécurité peuvent être rapidement adaptées aux diverses espèces. Et le lieu dispose d’enclos extérieurs où vivent actuellement quelques vaches, moutons et chèvres. Non pas pour une expérience, mais uniquement pour des prélèvements occasionnels de sang à des fins de recherche et de tests diagnostiques.
Pour Nicolas Ruggli, l’un des avantages de la recherche à l’IVI est qu’il peut, avec son équipe, y étudier les épizooties sur un hôte réel au lieu d’un modèle animal. «Il arrive un moment où on ne peut pas réduire une maladie qui touche tout un organisme à une seule cellule ou à une souris de laboratoire», note-t-il. Et le savoir acquis dans le cadre des expériences peut être utilisé directement sur leurs patients animaux.
En 2023, l’équipe de l’IVI prévoit de lancer l’étude du virus de Wesselsbron, actuellement répandu en Afrique, qui peut infecter les moutons, les chèvres, les rongeurs et aussi les humains. «Etant donné que l’agent pathogène est principalement transmis par des moustiques, le réchauffement climatique augmente la probabilité de voir cette maladie se répandre aussi chez nous», note le chercheur. «En virologie, nous devons toujours devancer toutes les éventualités, afin d’identifier la menace et de pouvoir y réagir.» Cette stratégie a aussi été payante avec la pandémie de Covid-19: Volker Thiel, virologue à l’IVI et membre de la Task Force Covid-19, avait déjà étudié les coronavirus chez les chats et les porcs bien avant que n’éclate la pandémie. «Nous avions ainsi les connaissances nécessaires pour étudier immédiatement le SARS-CoV-2.»
Mais revenons à nos porcs de l’expérience sur la peste porcine africaine. Ils resteront encore en observation à l’IVI pendant quelques mois avant d’être endormis, conformément aux directives éthiques en matière d’expérimentation animale. Ils auront peut-être contribué à sauver la vie de dizaines de milliers de leurs congénères dans le futur.