«Le mouvement pour le climat a créé une alliance entre les générations»
Les manifestations pour le climat font bouger la société et ont même eu un impact sur les élections fédérales d’automne 2019. La politologue Jasmine Lorenzini s’est intéressée aux participants des rassemblements à Genève et à Lausanne.
Qui sont les gens en Suisse qui descendent dans la rue pour revendiquer des actions contre le réchauffement climatique?
Dans nos enquêtes à Genève et à Lausanne, nous avons surtout rencontré de très jeunes gens qui participaient à leur première manifestation. Près d’un tiers d’entre eux étaient âgés de 12 à 19 ans. Il s’agit d’une base très jeune, mais elle parvient à mobiliser également les parents et grands-parents. L’âge moyen était de 34 ans.
Et en termes de mixité sociale?
Parmi les sondés, 40% ont déclaré que leurs parents avaient un titre universitaire. Près de 60% se placent eux-mêmes dans la classe moyenne supérieure, contre seulement 5% dans la classe ouvrière. Le mouvement a créé une alliance entre les générations, mais pas entre les classes sociales.
Qu’avez-vous appris sur les motivations des manifestants?
La motivation première de 90% des sondés est la volonté de faire pression sur le monde politique. Cela constitue un paradoxe, car la plupart des personnes interrogées ne pensent pas que les politiciens parviendront à prendre des mesures efficaces contre le changement climatique. La consommation joue également un rôle important: plus des deux tiers estiment que le plus grand levier pour protéger le climat est de modifier leur propre style de vie.
Neuf pays européens ont également été sondés. Y a-t-il des différences culturelles?
Oui, en Suisse, les manifestants sont des modèles de consommateurs engagés. Ils boycottent ou choisissent certains produits pour des raisons écologiques et adaptent consciemment leur alimentation. On retrouve cette situation en Allemagne et en Suède, mais moins en Italie, probablement parce que le pouvoir d’achat y est moindre et que la marge de manœuvre est d’autant plus restreinte. D’autres formes d’action y sont nettement plus importantes, comme la mobilisation sur les réseaux sociaux.
Comment ce mouvement s’organise-t-il?
Il renonce largement aux hiérarchies. Il suit les principes de la démocratie de proximité et décentralisée, à la manière des mouvements féministes et écologistes des années 1960 et 1970. La nouveauté est le rôle joué par de très jeunes gens et le fait qu’ils se réfèrent de manière appuyée aux faits scientifiques.
Le monde scientifique se solidarise ouvertement avec eux: une prise de position a été signée par 26 800 chercheurs et chercheuses. Est-ce une nouveauté dans l’histoire des mouvements sociaux?
De nombreux spécialistes des sciences sociales ont soutenu le mouvement écologiste dans les années 1960. L’élan de solidarité de milliers de scientifiques avec les manifestants est nouveau, mais compréhensible: cela fait plus de trente ans qu’ils tentent de nous avertir des conséquences du changement climatique, en vain. Le mouvement Fridays for Future leur a donné une occasion de s’exprimer.
Pensez-vous que nous ayons atteint un tournant et que les protestations puissent changer durablement la société?
Personnellement, je l’espère. Pour cela, le mouvement doit réussir à faire éclater les structures socio-économiques existantes et combiner divers répertoires de protestation. Il y a de nombreuses formes de désobéissance civile non violente qui peuvent perturber durablement le système économique et politique. Les jeunes ont désormais besoin de succès politiques concrets. Sinon, la lassitude risque de s’installer.