«Il faut des scientifiques qui dérangent»
Ruedi Noser souhaite davantage de concurrence entre les hautes écoles du pays. Pour le parlementaire radical, l’innovation permettra de juguler le réchauffement climatique: «Un politicien doit être optimiste.»
A quand remonte votre dernier entretien avec un scientifique?
Je n’ai pas arrêté de parler avec des scientifiques pendant les débats autour de la loi sur le CO2. Je ne parviendrais même pas à en dresser la liste. On a le droit de ne pas partager l’opinion d’un chercheur, mais quand on fait de la politique, il faut au moins connaître les faits.
Je me suis assis avec eux au Live Science Center de Zurich pour comprendre ce qui pourrait devenir important en médecine dans les vingt prochaines années. La science fait l’objet de tant de vulgarisations qui promettent le ciel et la terre, on parle même d’immortalité dans la Silicon Valley. J’avais besoin de mettre de l’ordre dans tout ça.
Et vous y êtes parvenu?
Oui, je crois. Nous avons par exemple abordé les progrès du génie génétique. Les mutations créées grâce aux ciseaux génétiques ne seront pas distinguables des produits de l’agriculture conventionnelle. La technologie deviendra si bon marché que n’importe quel gymnase pourra en doter son laboratoire. Dans ces circonstances, la loi actuelle sur le génie génétique n’est plus adaptée.
Ces développements effraient de nombreuses personnes. Vous aussi?
La peur est mauvaise conseillère. Il faut deux choses pour être un politicien: d’abord, aimer les gens. Ensuite, être optimiste. Sinon, on devient très conservateur. Je suis convaincu que nous résoudrons les problèmes actuels.
Vous dites à propos de la réduction des émissions de CO2 exigée par l’Accord de Paris: davantage de recherche et tout ira bien. Sans que nous n’ayons rien d’autre à faire.
C’est un résumé un peu exagéré... Il est facile de prêcher le renoncement en Suisse: j’ai quelques chemises supplémentaires dans mon armoire et je m’en sortirai encore deux ans sans en acheter de nouvelles. Mais cela vaut tout au plus pour un demi-milliard de personnes. Seule l’innovation permettra à plus de 8 milliards d’individus de vivre dans la dignité et le respect.
Est-il réaliste selon vous de penser que l’innovation suffira pour nous y mener?
Nous n’avons pas le choix. Sans innovations techniques, nous n’avons pas la moindre chance de permettre à tous les habitants de la Terre de vivre selon les principes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme. Il y a actuellement un paradoxe: d’un côté nous voulons être une société multiculturelle et résoudre les problèmes de manière globale, mais de l’autre nous devrions désormais renoncer à nous rendre visite les uns les autres. Cela ne marche pas. Je trouve bien que nous soyons ouverts sur le monde et cosmopolites. Cela nous fournit une base pour résoudre les problèmes ensemble.
Un exemple de solution technique novatrice qui vous impressionne?
Celle de Climeworks, une start-up qui capture le CO2 dans l’air et le rend utilisable dans certains secteurs. De nombreux autres projets de recherche passionnants sont menés dans les écoles polytechniques et les universités. Ce qui me dérange par contre, c’est que la première installation de Climeworks qui transforme le CO2 en kérosène se trouve à Amsterdam et non à Zurich, où l’idée a été développée. La Suisse se devrait de devenir un exemple pour le développement de solutions techniques aux problèmes énergétiques.
Les interactions entre politique et science suivent-elles des règles adéquates?
La politique doit défendre explicitement la recherche fondamentale et le transfert des connaissances acquises vers l’application. En revanche, ce n’est pas à la politique de décider ce qui est de la bonne recherche ou Hochstrasserde la mauvaise. Et il faut des scientifiques qui dérangent.
Qu’entendez-vous par là?
Le public et les politiciens s’attendent à entendre certaines choses. J’ai l’impression que les chercheurs préfèrent soutenir ces idées-là plutôt que d’énoncer simplement les faits. Nous avons besoin de scientifiques indépendants qui expriment leurs opinions et d’un système qui soutienne cette indépendance. Toutes les personnes actives dans l’encouragement de la recherche devraient régulièrement se demander: respectons-nous ces principes? Admettons-nous également ce qui dérange?
Quel rôle joue la science dans les débats parlementaires?
Un rôle très important. Le problème toutefois est que les faits sur lesquels nous nous basons ont toujours une composante politique. L’Office fédéral de la statistique, par exemple, n’est pas indépendant de l’administration ; les chiffres qu’il publie ont une teinte politique. Cela réduit la marge d’interprétation. J’estime qu’il faudrait pouvoir partir de données statistiques objectives pour parvenir aux meilleures solutions. Les débats parlementaires ne considèrent que les modèles qui sont politiquement envisageables. Il n’y a pas assez de remise en question, de pensée latérale, de créativité.
Vous êtes donc toujours ouvert au changement?
Oui, pour moi, cela signifie qu’on reste jeune. On peut être vieux à 20 ans – et jeune à 80.
Mais à quoi tenez-vous? Quelles sont vos lignes directrices?
On peut suivre certains principes en politique. Le mien est qu’il n’y a pas de solution unique. Il en existe plusieurs et chacune d’entre elles génère de nouveaux problèmes. De cette manière, on met déjà toutes les idéologies sur la touche, qui servent seulement à nous amener à moins penser par nous-mêmes.
La liberté individuelle comme principe ultime, n’est-ce pas une idéologie?
C’est l’un des droits de l’homme. Ils sont là pour protéger les gens contre l’Etat et je les défends à 100%. Les humains sont créatifs. Si l’Etat veut les briser, il échouera. Prenons l’exemple du climat: on ne peut le sauver qu’ensemble et non pas en excluant ou en condamnant. Diviser le monde entre le bien et le mal est un poison. C’est pourquoi la démocratie est le meilleur système pour résoudre les problèmes.
Et elle discute beaucoup du climat.
Analysons pour une fois froidement la question de la réduction du CO2. La Suisse s’était donné pour objectif de réduire les émissions de 20% avant 2020. Elle y parviendra tout juste. Mais les pays environnants échoueront clairement. Nous arriverons également à atteindre la réduction de 50% prévue d’ici à 2030. Nous devrions nous en tenir à un plan réalisable et soutenir les efforts des autres Etats pour qu’ils atteignent leurs objectifs.Comment faire?Avec les mesures de réduction décidées dans le cadre de la loi sur le CO2, le Conseil des Etats veut créer le plus grand fonds climatique par habitant du monde. Il nous permettra aussi de soutenir d’autres pays. Nous créons là un nouveau fonds national pour la recherche sur la durabilité. Les milieux scientifiques ne s’en sont pas encore rendu compte. Nous ne pouvons apporter ici notre contribution qu’en investissant dans ce domaine de recherche. Non pas en retournant au XVIIIe siècle.
Quelles découvertes scientifiques espérez-vous?
Ma réponse ne vous plaira pas. Il m’est déjà arrivé de me demander ce que je construirais aujourd’hui si j’avais à nouveau 20 ans. Je fonderais probablement un institut de formation. Nos hautes écoles sont très bonnes, mais je crois qu’elles ne sont pas aussi dynamiques qu’elles pourraient l’être. J’aimerais que Harvard ou Berkeley viennent en Suisse et créent ici un peu de concurrence. Ce serait vraiment nécessaire. Notre système est lourd. L’idée que les hautes écoles spécialisées, les universités et les écoles polytechniques doivent toutes agir également comme institutions de recherche est absurde.
C’est une erreur que les hautes écoles spécialisées s’engagent toujours davantage dans la recherche?
Pour moi, le terme de recherche appliquée est absurde. Il y a la recherche et il y a le développement. Dès qu’on a un objectif en tête dans la recherche, c’est du développement.
Quel scientifique du passé inviteriez-vous à dîner?
(Rires) Ce serait certainement passionnant de rencontrer Albert Einstein. Mais je trouve en fait que les modèles idéalisés de l’histoire constituent un problème. Il y a de nombreuses personnalités contemporaines intéressantes avec qui je partagerais volontiers un repas.