Changement de culture dans les labos
C’est un pilier central de la science: reproduire les résultats déjà publiés. Mais rares sont les scientifiques à y investir du temps. Et lorsqu’ils le font, les vérifications se soldent souvent par un échec. Des institutions suisses s’engagent pour changer la situation.
Notre époque a beau être friande de fake news et de théories du complot, les sondages indiquent que le public fait toujours confiance à la science. Mais les scientifiques doutent d’elle probablement davantage qu’avant, notamment à cause du problème de la reproductibilité: un nombre croissant de découvertes publiées mais qui ne se vérifient pas lorsque les expériences sont répétées.
Cette situation résulte de nombreux facteurs: des statistiques douteuses, la pression à produire des découvertes spectaculaires, et le biais de publication, qui se nourrit de la réticence des scientifiques à soumettre des résultats négatifs ajoutée à celle des revues à les publier.
Des données solides et ouvertes
Les institutions suisses ont décidé de s’attaquer à la question. L’Université de Zurich a lancé en 2018 son Centre pour la science reproductible, dirigé par Leonhard Held. Après seulement un an, encore peu de résultats tangibles, mais beaucoup de choses qui se passent à l’arrière-plan, selon le professeur de biostatistique: «Nos efforts ont déjà rendu le problème de la reproductibilité plus visible et mieux connu dans l’ensemble de l’institution, notamment grâce à une journée dédiée à ce thème.»
Le centre a déposé plusieurs demandes de subsides afin d’investir dans la formation avec des cours sur les bonnes pratiques scientifiques et sur l’importance des résultats confirmatoires. «Pour l’instant, les scientifiques estiment encore trop souvent qu’avoir montré quelque chose implique que cela est vrai. Il faut développer une culture de la répétition des études.»
Le mouvement de la science ouverte promeut le partage des données et des méthodes, une stratégie clé pour la reproductibilité. Des institutions telles que l’EPFL et l’ETH Zurich organisent des séminaires sur ces thèmes, notamment sur la gestion des données de la recherche. Anna Krystalli, informaticienne à l’Université de Sheffield, était l’an dernier invitée à une école d’été commune aux deux institutions. Elle Adamdit avoir été frappée par deux choses: l’événement était organisé par les doctorants et non par des responsables de l’institution, et un des présidents y a participé par Skype. «Je crois que cela témoigne du soutien des hauts responsables, remarque-t-elle. Il semble constituer un élément fort de la culture suisse de la recherche. Difficile d’affirmer qu’il est meilleur qu’ailleurs, mais j’ai été impressionnée.» Ces rencontres ne font pas que sensibiliser les jeunes scientifiques, elles leur suggèrent qu’ils peuvent apporter des améliorations concrètes, en particulier en développant des logiciels plus efficaces pour partager des données et des codes informatiques.
Le bon côté de la paperasserie
«Les résultats qui ne résistent pas à l’examen représentent un défi pour toutes les institutions scientifiques», souligne Hanno Würbel de l’Université de Berne qui a examiné la reproductibilité des expérimentations précliniques. Selon lui, la recherche avec des animaux est bien placée pour aborder cette question parce que les protocoles expérimentaux s’accompagnent déjà de beaucoup de paperasse et de contrôles. On pourrait les adapter afin de garantir la reproductibilité des expériences avant même qu’elles ne commencent, notamment en s’assurant que la taille des échantillons soit garante de résultats statistiques significatifs. Ce domaine a l’habitude de ces procédures et serait donc moins susceptible de Gschmeissnerconsidérer de nouvelles mesures comme de la bureaucratie inutile à rejeter.
De nombreuses universités parlent de la nécessité de s’attaquer au problème mais les progrès dépendent souvent des individus. «L’éducation et la formation jouent un grand rôle. Pour que les choses changent, il faudra peut-être attendre que les scientifiques seniors partent à la retraite.»
Leonhard Held, lui, ne veut pas attendre et souhaite voir à Zurich des recherches en métascience, la science de la science. Une inspiration est le centre Metrics de l’Université Stanford: lancé en 2014 et dirigé par l’épidémiologiste John Ioannidis, il promeut la reproductibilité et s’intéresse à l’ensemble du cycle de la recherche, depuis la planification des expériences jusqu’à la diffusion des résultats en passant par les dispositifs d’encouragement et de récompense des scientifiques par les universités et les bailleurs de fonds.
Une grosse difficulté: le système universitaire favorise avant tout les scientifiques ayant de longues listes de publications dans des revues possédant un facteur d’impact élevé, alors même que ces dernières sont très rarement disposées à publier des études de vérification. Une chose à changer pour une recherche reproductible, en Suisse ou ailleurs.