Le visage d’une génération
Ridé par le travail en plein air, le visage de cette femme de 68 ans reflète les épreuves traversées. La géographe Sarah Speck interroge les personnes âgées de villages reculés au Népal afin de mesurer l’impact des transformations sociales sur cette population.
Les années ont profondément marqué les traits de cette femme de l’ethnie Gurung au Népal. «J’ai été étonnée lorsque j’ai appris qu’elle n’avait que 68 ans», raconte Sarah Speck. Dans les campagnes népalaises, les personnes âgées ont travaillé toute leur vie au grand air et au soleil.» La doctorante en géographie humaine à l’Université de Zurich a rencontré cette femme dans le village de montagne isolé de Mirsa, qui compte 44 foyers. Lors de deux séjours en 2016 et 2017, elle a mené des entretiens qualitatifs avec des seniors qui ne peuvent pour la plupart compter que sur eux-mêmes.
Dans le modèle familial traditionnel du pays, les enfants s’occupent de leurs parents. Mais cela ne fonctionne plus. Des agences recrutent les jeunes adultes pour partir travailler dans les pays du Golfe, et l’Etat social n’en est qu’à ses balbutiements au Népal. Il n’existe pratiquement aucune prévoyance vieillesse ou de homes pour personnes âgées. Dans ce contexte, Sarah Speck se concentre sur les perspectives des aînés et cherche à comprendre comment ces derniers évoluent dans leur cadre de vie à une époque de transition.
La prise de cette photo illustre les difficultés d’une telle recherche. «Elle s’est spontanément jointe à nous alors que j’interviewais sa voisine, mais elle a dit ne pas vouloir participer personnellement aux entretiens», raconte la chercheuse. Elle s’intéressait alors notamment à l’accessibilité à la rente de vieillesse gratuite et à son efficacité. La vieille dame ne recevait pas cet argent, car elle était jugée trop jeune. Croyant que la géographe était une employée du gouvernement népalais, elle a demandé à recevoir d’abord cette rente avant de lui parler.
Sarah Speck dit aimer ce portrait: «Ce visage ridé reflète les épreuves traversées. Je vois encore comment elle tenait sans cesse sa cigarette dans la main, la fumait, l’éteignait et la posait quelque part afin de pouvoir la rallumer plus tard. Elle avait même un petit tube de bambou en guise d’embout. Elle était ainsi en mesure de la fumer vraiment jusqu’au bout.»