Dossier: La Big Science en mutation
Big Science: savoir résister aux attentes
Les politiciens acceptent de financer des grands projets de recherche, mais attendent en échange des résultats. Les scientifiques doivent résister à cette pression, même lorsque des milliards sont en jeu.
Que faire avec 10 milliards? Financer des Jeux olympiques ou un aéroport? Un barrage ou un porte-avions? Ou plutôt un télescope spatial dernier cri? Depuis la Seconde Guerre mondiale, la société accepte régulièrement de soutenir des projets scientifiques pharaoniques, malgré leur coût exorbitant. Car la Big Science fait rêver. Elle flatte notre désir de connaissance et démontre de manière spectaculaire notre capacité à interroger la nature dans tous ses extrêmes.
Mais le plus intéressant est ailleurs: dans les succès étonnants de la «diplomatie scientifique». Elle réussit à rassembler autour de projets scientifiques communs l’engagement non seulement politique mais également financier de nombreux pays. La mégascience devient d’ailleurs encore plus collaborative; les grandes infrastructures de recherche constituent désormais des outils ouverts à toutes les disciplines. Une bonne stratégie: ce nombre croissant d’acteurs et de retombées potentielles – il ne s’agit plus d’observer un trou noir mais de faire progresser la santé ou de protéger l’environnement – améliorent les chances de financement.
Dans ces projets hautement technologiques, le risque est de confondre l’outil et l’objectif. Car les investissements massifs qu’ils nécessitent, étalés sur des décennies, créent leur propre dynamique: bureaucratie géante, promesses démesurées et pression à obtenir des résultats. Le danger serait de voir les scientifiques se transformer en des gestionnaires et des communicants ayant perdu le goût du risque et de la pensée qui dérange.
L’exemple de John Ellis du CERN donne espoir. En 2007, soit une année avant le démarrage du nouvel accélérateur LHC, il confiait dans Nature que la non-observation du boson de Higgs serait en réalité plus intéressante que sa découverte, faisant fi des attentes des politiciens ayant financé le LHC. Pour que les mégaprojets de recherche remplissent leur vraie mission – faire progresser la connaissance –, ils doivent protéger ce qui constitue le coeur de la science: une honnêteté sans concession. Même, ou surtout, lorsqu’elle risque de fâcher ceux qui les ont rendus possibles.
Daniel Saraga, rédacteur en chef