Achats en ligne: des avis trop beaux pour être vrais
Les commentaires sur les sites de vente sur Internet sont souvent trop positifs pour être dignes de confiance. Une étude dévoile les effets psychologiques des évaluations en ligne.
A en croire les évaluations sur Internet, tous les hôtels sont confortables, tous les restaurants délicieux et tous les ordinateurs de bonne qualité. Que ce soit sur Amazon, Expedia, Airbnb ou le site allemand de recommandations Frag Mutti, la quasi-totalité des objets passés au crible affichent en moyenne quatre à cinq étoiles. Les mauvaises notes sont peu fréquentes, et les notes moyennes encore plus rares.
Verena Schoenmüller a analysé ce phénomène en se basant sur 130 millions d’avis issus des principales plateformes en ligne. «Nous avons constaté partout cette répartition extrêmement décalée vers le positif», relève la chercheuse, actuellement à l’Université Columbia de New York grâce à une bourse du Fonds national suisse. Cela signifie-t-il que toutes ces offres sont formidables? Ou que la plupart des avis sont truqués?
Les avis en ligne sont devenus un élément essentiel des décisions d’achat. En 2015, 90% de la population aux Etats-Unis et au Canada lisaient des recommandations sur Internet avant de se rendre dans un magasin. La même proportion s’y fie autant ou plus qu’à l’avis de leurs connaissances. Les évaluations sur Internet se ressentent fortement sur les ventes et revêtent une grande importance pour les commerçants. Mais pourquoi sont-ils si positifs?
Le premier avis compte
Première piste: un acheteur souhaite diminuer la «dissonance cognitive», à savoir la contradiction entre pensées, valeurs et émotions. Il a beau n’être pas entièrement satisfait du produit acheté, mais l’argent dépensé le pousse à réduire son insatisfaction en l’évaluant positivement. «Notre étude indique en effet que les avis sont meilleurs lorsque les participants évaluent un produit après s’être décidés à l’acquérir que lorsque l’évaluation se fait avant une telle décision, indique Verena Schoenmüller. Cela suppose que la dissonance cognitive joue un rôle, même si ce n’est pas la raison principale.»
Une étude de Sean Tylor de l’Université hébraïque de Jérusalem propose une autre explication. Son équipe a montré que la première recommandation postée sur un produit influence fortement les suivantes. Une première note positive augmente de 32% la probabilité d’être suivie par un autre avis favorable, alors que l’évaluation globale s’améliore de 25%. Sur l’échelle habituelle de cinq étoiles, cela représente plus d’une étoile. «Ce comportement grégaire ne suffit toutefois pas à expliquer le décalage vers le positif, car la première note se situe aussi au-dessus de la moyenne», indique Verena Schoenmüller. On pourrait objecter que le vendeur, qui connaît bien l’importance du premier avis, en soit souvent lui-même à l’origine. Mais une étude récente de la chercheuse laisse supposer que les bons avis exprimés ne proviennent pas de là.
Dans cette expérience, des étudiants ont été répartis en deux groupes. Dans le premier, les participants ont donné une note au dernier livre qu’ils avaient lu ou au dernier restaurant où ils avaient mangé. Les participants du deuxième groupe pouvaient eux décider quel livre ou restaurant ils souhaitaient juger. Les résultats montrent que ces derniers ont attribué de bien meilleures notes. «Elles étaient aussi décalées vers le positif que celles observées sur les grands sites Internet, rapporte Verena Schoenmüller. Pour l’autre groupe, nous avons en revanche constaté une répartition normale.» En d’autres termes: les consommateurs choisissent et notent de préférence les produits et services dont ils s’estiment satisfaits. A leurs yeux, les produits mauvais ou moyens méritent rarement une évaluation.
Les autres chercheurs qui travaillent sur le sujet approuvent-ils ces résultats? «Il s’agit d’une très bonne étude, très complète, d’une des chaires les plus prestigieuses du domaine», salue Nikolaos Korfiatis, professeur à l’Université d’East Anglia. Il pointe toutefois un facteur qui n’est pas abordé dans la recherche: l’influence du temps écoulé entre l’achat et l’évaluation. «Les consommateurs ont tendance à donner une meilleure note à un restaurant ou à un livre après un certain temps. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi le groupe qui a pu choisir ce qu’il voulait évaluer a formulé des critiques plus positives.»
Verena Schoenmüller et ses collègues ont aussi tenté d’examiner le facteur temps de manière expérimentale dans leur travail. Ils ont demandé au premier groupe d’évaluer la probabilité qu’ils publient un commentaire dans la réalité sur le dernier livre lu ou restaurant visité. Cette question a elle aussi indiqué que les consommateurs s’expriment surtout lorsqu’ils estiment qu’un produit est très bon.
Selon Nikolaos Korfiatis, la sélection de produits disponibles constitue aussi un élément déterminant. Mais il dit s’étonner qu’il n’y ait pas eu davantage de mauvaises évaluations. D’anciennes études comparables ont observé des commentaires de personnes très satisfaites, mais aussi de nombreuses critiques négatives de clients mécontents. Une hypothèse: «Les produits mal notés sont aujourd’hui vraisemblablement retirés rapidement du marché ou relancés sous un nouveau nom, faute de quoi ils ne sont simplement plus vendables.»
A qui se fier?
Une question demeure: quelle est la valeur informative de notations en ligne si elles affichent avant tout des très bonnes notes? L’étude suggère que les évaluations les plus pertinentes proviennent de clients donnant très souvent leur avis, note Verena Schoenmüller. «Leurs notes sont réparties normalement et s’avèrent plus fiables.»
Nikolaos Korfiatis indique que des sites permettent parfois aux clients de commenter séparément certains aspects et sous-critères du produit, comme la batterie ou l’écran d’un téléphone portable. «Il s’agit d’une approche beaucoup plus pertinente qu’un rating général.» Il est possible d’identifier les avis truqués et achetés – positifs ou négatifs – par leur fréquence: ils sont émis en grand nombre et rapidement. Car celui qui veut manipuler une note souhaite voir un effet rapidement, souligne le chercheur. Il conseille par ailleurs de lire attentivement les commentaires, car ils offrent un meilleur tableau que la note. Malgré tous ces problèmes, le scientifique ne distingue pas de raison de se montrer trop pessimiste: «Avant l’essor des ratings en ligne, le public n’avait pas la possibilité de donner son avis. Les évaluations sur Internet améliorent le service et augmentent la satisfaction des clients.»
Basé à Francfort, le journaliste scientifique Frederik Jötten écrit notamment pour Das Magazin et la NZZ am Sonntag.