La Suisse rêve d’un Internet quantique
De Genève à Bâle, des scientifiques développent des relais quantiques, une technologie clé pour pouvoir chiffrer sur des centaines de kilomètres les communications grâce à la physique quantique.
Plus les attaques de hackers se succèdent, plus la sécurisation des communications devient urgente. Voilà exactement ce que promet la communication quantique à qui considère la protection des données comme absolument essentielle. Et dans ce domaine de pointe, les spécialistes suisses figurent parmi les pionniers du domaine. Ils ont récemment réalisé des progrès prometteurs sur des composants importants.
«La cryptographie quantique répond aux besoins des banques, des grandes entreprises et de certaines applications d’Etat, par exemple dans le domaine militaire», souligne Hugo Zbinden de l’Université de Genève. La technique basée sur les particules de lumière (photons) présente l’avantage de ne pas nécessiter un nouveau type de câbles, car celles-ci peuvent être transmises par les réseaux en fibre optique conventionnels.
Des clés de chiffrement quantiques sont enregistrées sur les photons et permettent de transférer de manière cryptée des informations par les voies traditionnelles. En théorie, la cryptographie quantique garantit une sécurité absolue. Mais le signal n’est plus fiable après quelques centaines de kilomètres, les photons étant absorbés par les fibres. Il est donc nécessaire de franchir les grandes distances par étapes, à l’aide de stations intermédiaires équipées de répéteurs quantiques.
Ces dispositifs tirent parti d’un phénomène spécial de la mécanique quantique: l’intrication. Les supports de l’information (ici des photons ou des atomes) peuvent être intriqués, ce qui signifie que même très éloignés l’un de l’autre, ils réagissent de manière coordonnée à une mesure semblable. Mais cette intrication se perd petit à petit, et les répéteurs doivent être en mesure de la rafraîchir.
Mémoires en cristal
La transmission quantique a besoin de pouvoir stocker temporairement la lumière parce que les photons n’arrivent pas tous de manière synchronisée dans les stations intermédiaires, et doivent être mis en commun à la procédure suivante. L’équipe de Mikael Afzelius de l’Université de Genève a montré récemment que des cristaux dopés de ions de terres rares parviennent à stocker la lumière et elle a développé des mémoires en cristal. Pour sa part, l’équipe réunie autour de Philipp Treutlein à l’Université de Bâle a présenté l’automne dernier une nouvelle mémoire quantique à base de rubidium gazeux et contrôlée par laser.
Les deux approches, gaz ou solides, ont leurs avantages et inconvénients. «Les divers types de mémoires quantiques seront peut-être capables de répondre à des applications différentes», note Philipp Treutlein. Elles devront satisfaire à trois critères, ajoute Mikael Afzelius: «Etre très efficaces, assurer une longue durée de stockage et, idéalement, pouvoir stocker plusieurs bits quantiques (ou qubits à la fois).»
Les mémoires et les relais quantiques n’ont pas encore dépassé le stade expérimental, et aucun système complet actuel ne fonctionne de manière satisfaisante – ce sera peut-être le cas d’ici cinq à dix ans. Mais des théoriciens réfléchissent déjà aux processus de la communication quantique du futur.
Aujourd’hui à Innsbruck, Michael Zwerger a récemment développé à l’Université de Bâle le protocole d’un répéteur de la prochaine génération. Avec cette méthode, le nombre de qubits d’un relai nécessaires pour transmettre chaque qubit envoyé ne dépend plus de la distance, contrairement aux protocoles actuels. Un point important, car un véritable Internet quantique sera capable d’envoyer des centaines de qubits. «A long terme, cela peut faire une différence en ménageant les ressources», commente Philipp Treutlein. Toutefois, il faudra réaliser encore de nombreux progrès si l’on veut contrôler simultanément des centaines de qubits, concède Michael Zwerger.
Les travaux du physicien ont été soutenus par le Pôle de recherche national «QSIT – Science et technologie quantiques» qui oeuvre à la mise au point de véritables réseaux quantiques. A Genève, l’entreprise ID Quantique commercialise depuis des années des produits commerciaux pour le marché de la communication quantique, encore confidentiel mais en développement. Elle a déjà testé le précurseur d’un tel réseau. De quoi imaginer une sorte d’Internet quantique? «Le terme sonne bien. Mais nous n’en sommes pas encore là», glisse Hugo Zbinden.
Sven Titz est un journaliste scientifique libre installé à Berlin.