Image: Rudmer Zwerver/Shutterstock

Difficile de ne pas se sentir mal à l’aise lorsqu’on pense aux animaux de laboratoire sacrifiés pour l’intérêt de la recherche. Personne ne recourt à l’expérimentation animale pour le plaisir, mais les découvertes qu’elle rend possibles font encore et toujours avancer nos connaissances médicales et vétérinaires. Ce dilemme éthique entre avantages pour les humains et souffrances infligées aux animaux a été pris en compte dans la législation suisse: au regard de celle-ci, les essais sur les animaux «doivent être limités à l’indispensable».

Un zoologue et un microbiologiste britanniques avaient déjà formulé en 1959 trois principes pour rendre l’expérimentation animale plus «humaine»: les chercheurs doivent utiliser des approches alternatives chaque fois que cela est possible («Remplacer»), avoir recours au moins d’animaux possible («Réduire») et limiter au maximum les souffrances ressenties («Raffiner»).

Le concept 3R ne représente pas un refus complet de l’expérimentation animale ni un blanc-seing pour les scientifiques, mais exige de leur part une attention particulière. Cette approche bénéficie également à la science: elle permet des résultats plus pertinents, généralisables et reproductibles.

RemplacerRéduireRaffiner
Les alternatives se développent

Remplacer complètement les expériences sur les animaux relève aujourd’hui encore du rêve. Mais les alternatives s’avèrent intéressantes également en tant que nouvelles méthodes de recherche. Tour d’horizon.

CULTURES DE CELLULES
EXPÉRIENCES SUR LES HUMAINS
ORGANES SUR PUCE
SIMULATION

CULTURES DE CELLULES
Au-delà de la boîte de Pétri

Illustration: Tara von Grebel

Les progrès dans le domaine des cultures cellulaires sont considérables et remplacent avec succès des essais sur les animaux. De plus, cette méthode autorise à procéder à des expériences directement sur du matériel humain et non animal. La production de tissus cutanés humains conformes à la réalité permet, entre autres, à l’industrie cosmétique de tester la tolérance à ses produits. «Les études réalisées avec des cellules de personnes en bonne santé et malades apportent des informations que l’on ne pourrait pas obtenir avec les essais sur les animaux», indique Stefanie Schindler, co-directrice d’Animalfree Research, une fondation qui soutient les recherches visant à rendre l’expérimentation animale superflue.

Même sans donneur humain, la voie est désormais ouverte à l’utilisation de cellules normales pour produire des cellules souches pluripotentes à partir desquelles toutes les parties du corps peuvent en principe se reformer. Cette technique permet par exemple de créer des cellules de muscle cardiaque qui
battent vraiment.

La plupart des cultures cellulaires consistent encore aujourd’hui en une couche de cellules individuelles étalées sur une surface. Mais cette géométrie ne correspond pas à leur environnement naturel, ce qui donne lieu à des modèles irréalistes au regard des vraies situations dans le corps. On investit désormais beaucoup dans le développement de tissus en trois dimensions (voir Horizons 110).

Des échafaudages ou des gels font croître les cellules au bon endroit. Une autre technique consiste à les positionner correctement à l’aide d’une imprimante 3D. On peut également laisser les cellules s’organiser spontanément: dans une goutte d’eau ou dans de petits trous, elles s’agglomèrent les unes aux autres pour former des organoïdes (des mini-organes sphériques). C’est ainsi que des tissus cérébraux et conjonctifs de même que des tumeurs ont été créés.

EXPÉRIENCES SUR LES HUMAINS
Tester directement sur les patients est interdit

Illustration: Tara von Grebel

Que les essais sur les animaux s’avèrent peu fiables est désormais largement reconnu: moins d’une molécule sur dix ayant franchi le cap de l’expérimentation animale aboutit effectivement sur le marché en tant que médicament. Ces substances se révèlent sans qu’on ne s’y attende être soit nocives soit inefficaces lors des essais cliniques humains. Les tests sur les animaux n’en sont pas moins utiles pour autant, car de nombreuses substances dangereuses ou inopérantes sont déjà éliminées à ce stade.

Renoncer aux expériences sur les animaux impliquerait soit de cesser complètement le développement de nouvelles substances, soit de les tester directement sur des cobayes humains. Mais «on ne peut directement passer à l’homme», souligne Ernst Hunziker, de la Fondation Recherches 3R. La loi prévoit une succession d’étapes précises: d’abord les tests sur les cellules, les tissus et les organes de culture, puis sur les animaux et enfin sur les humains.

ORGANES SUR PUCE
Vers des organes artificiels

Une seule culture cellulaire ne permet pas de modéliser les interactions entre les différents types de cellules cohabitant dans un organe. Par exemple, des substances chimiques sont transformées dans un tissu où elles acquerront des propriétés aux effets destructeurs ou réparateurs ailleurs dans l’organe. Mais des puces microfluidiques peuvent simuler cette complexité: des canaux relient différentes cultures de cellules et favorisent l’échange des substances.

Illustration: Tara von Grebel

Ces organes sur puce présentent un grand potentiel pour tester les nouvelles substances chimiques. «Il sera bientôt envisageable de renoncer à l’expérimentation animale dans le domaine de la toxicologie», affirme Stefanie Schindler. Le gouvernement néerlandais prévoit d’abandonner complètement les essais toxicologiques sur les animaux d’ici 2025.

De nombreux facteurs supplémentaires doivent être pris en compte afin de reproduire tous les aspects des organes. Pour un poumon notamment, les alvéoles subissent des contraintes mécaniques lors de l’inspiration et l’expiration. Si ces dernières peuvent être imitées de manière mécanique, Stefanie Schindler reconnaît néanmoins que «la méthodologie est encore très loin de déboucher sur un organisme artificiel complet».

SIMULATION
Générer de nouvelles pistes

Illustration: Tara von Grebel

«Les phénomènes complexes ne sauraient être cernés sans recours à une modélisation sur ordinateur», lance Uwe Sauer de l’ETH Zurich. Le chercheur a déjà simulé le métabolisme du sucre sur un modèle simplifié de bactérie. Des hypothèses développées avec soin facilitent des recherches ultérieures mieux focalisées. Et remplacent des études inutiles sur des animaux.

Les simulations ne sont toutefois pas en mesure de se substituer entièrement à l’expérimentation animale, car elles doivent reposer sur des informations issues du monde réel. «On ne parvient jamais à anticiper tout ce qui peut se passer in vivo», souligne Ernst Hunziker, président du comité d’experts de la Fondation Recherches 3R. Il évoque le triste exemple du somnifère thalidomide, qui a provoqué des malformations chez des milliers de nouveau-nés à la fin des années 1950. A noter que «même l’expérimentation animale n’avait pas permis de prévoir ces effets».

La qualité avant la quantité

Des tests menés sur un effectif accru de cobayes permettraient de réduire le nombre des expérimentations animales. Un paradoxe.

Le nombre d’animaux de laboratoire en Suisse est passé de près de deux millions en 1983 à 750 000 en 1996. Depuis lors, le chiffre est resté stable. La nécessité de recourir à l’expérimentation animale diminue pour les tests de substances pharmaceutiques, tandis qu’elle augmente dans la recherche fondamentale. «Cette hausse s’explique principalement par l’utilisation croissante de souris génétiquement modifiées», indique Stefanie Schindler, de la Fondation Animalfree Research.

Elle se dit consciente qu’il s’agit d’un but à long terme, mais reste convaincue qu’il est accessible. L’objectif intermédiaire de l’organisation est de diffuser des connaissances sur les principes 3R. Dans cette perspective, le développement d’un outil en ligne a été encouragé.Il doit aider les chercheurs à trouver de la littérature scientifique sur l’approche 3R et à intégrer des méthodes alternatives dans la planification de leurs projets.

Un point important est de réduire le nombre des essais sur les animaux grâce à une amélioration de la fiabilité des expériences. Il s’agit de renoncer aux répétitions inutiles et de rechercher pour chaque essai la meilleure pertinence scientifique possible. Paradoxalement, cela peut conduire à des expériences de plus grande ampleur réalisées sur un nombre accru d’animaux.

En 2017, Nature a ouvert ses pages à un nouveau genre d’articles consacrés aux «études précliniques pertinentes». Ce faisant, la revue vise à réduire le nombre des échecs chez l’être humain de traitements pourtant jugés prometteurs. Pour Hanno Würbel de l’Université de Berne, cette initiative va dans la bonne direction: «C’est du gaspillage que d’utiliser dans une expérience un nombre insuffisant d’animaux pour permettre d’en tirer des conclusions fiables.» Dès lors, les protocoles d’expérimentation animale tendent à s’inspirer de plus en plus de ceux mis en place pour les études impliquant des patients.

«De meilleures conditions pour les animaux génèrent des résultats plus pertinents»

Réduire la douleur au minimum et améliorer le bien-être des animaux permettent d’augmenter la pertinence d’une expérience, selon Hanno Würbel. Il enseigne la protection des animaux à l’Université de Berne et représente son institution au sein du nouveau centre de compétences 3R de la Confédération.

Bild: Marco Zanoni/Lunax

Comment évaluer la souffrance d’un animal de laboratoire?

Il s’agit du grand drame de notre spécialité. Nous voulons mesurer des sensations subjectives comme la douleur ou la peur qui ne sont pas du tout quantifiables. Cependant, des indicateurs tels l’espérance de vie, le taux de maladies, l’hormone du stress ou les changements de comportement constituent des outils d’évaluation objectifs.

Quelles pistes pour améliorer concrètement la situation des souris de laboratoire?

Le plus important est de fournir suffisamment de litière pour leur nid. Mais il faut aussi des gardiens d’animaux qualifiés, capables de repérer et d’apprécier les problèmes ainsi que de tester de nouvelles solutions.

Les commissions pour les expériences sur les animaux ne pourraient estimer la souffrance avec compétence, selon des chercheurs.

J’ai également entendu ces critiques, souvent exprimées de manière anonyme. Les commissions cantonales assument trop de tâches et sont dépassées. C’est pourquoi je plaide pour que les institutions de recherche assument davantage de responsabilités en matière de respect des principes 3R ainsi que de qualité scientifique des expériences. Les commissions devraient se limiter à contrôler uniquement si la pesée des intérêts formulée par les scientifiques est plausible.

Y a-t-il des dysfonctionnements importants dans la recherche?

Souvent, l’animal est considéré à tort comme un «instrument de mesure» par les chercheurs. Ces derniers visent à standardiser les animaux et éviter ainsi des conditions d’élevage plus complexes qui, selon eux, induiraient une précision moindre des résultats. Mais le raisonnement est erroné d’un point de vue biologique: plus les résultats sont précis, plus ils perdront de leur portée universelle. En outre, le stress et la peur constituent les facteurs de perturbation des mesures les plus importants. Ils influencent par exemple le système immunitaire. Dès lors, de meilleures conditions de vie assurées aux animaux génèrent des résultats plus pertinents.