Les HES doivent-elles pouvoir délivrer des doctorats?
Les professeurs d’une haute école spécialisée ne peuvent proposer des doctorats qu’en partenariat avec un collègue d’une université ou école polytechnique. L’autonomie des HES pour l’attribution de PhD est-elle souhaitable?
Les hautes écoles spécialisées (HES) offrent aujourd’hui des infrastructures appropriées pour mener des projets de recherche. Il est temps de leur donner la possibilité d’accompagner des doctorats de manière autonome, une condition essentielle pour des projets de longue durée. La recherche effectuée dans les HES est suffisamment mature pour des troisièmes cycles.
Dans mon domaine – le développement de techniques physico-chimiques pour la conservation des oeuvres d’art –, il existe depuis peu la possibilité pour les musées et les archives de soumettre et de diriger un projet de recherche, pour autant qu’ils soient rattachés à une HES. Les nouvelles modalités de soutien du Fonds national suisse le montrent: la nouvelle catégorie de recherche fondamentale orientée vers l’application a fait un pas vers les hautes écoles spécialisées qui souhaitent – et qui peuvent – s’investir dans la recherche. Le financement des projets autrefois séparés entre universités et hautes écoles est maintenant commun, ce qui illustre bien que les HES sont désormais compétitives. Le nombre de financements qu’elles ont levés a d’ailleurs systématiquement augmenté ces dernières années.
La situation actuelle est hypocrite: l’implication de superviseurs «fantômes» – des professeurs universitaires présents sur le papier pour des raisons réglementaires, afin que les doctorants soient administrativement rattachés à une université – n’est pas une solution viable à long terme. Elle ne permet pas d’accompagner au mieux les doctorants: le suivi par le professeur n’est pas toujours effectué de façon régulière. Ce montage engendre des difficultés inutiles, notamment dans le cas de projets fortement interdisciplinaires qui exigent des compétences rarement trouvées dans les universités.
Dans mon laboratoire, le suivi correct de mes deux doctorants doit être fait par des experts spécialistes à la fois de la conservation et de la restauration, de la chimie des matériaux ainsi que de la physique du solide. Un tel triptyque ne se trouve que dans des institutions ayant développé de fortes compétences dans ces domaines, comme certaines hautes écoles spécialisées. Faute d’université suisse offrant ce genre d’expertise, la plupart des étudiants intéressés finissent par faire une thèse en France ou en Allemagne.
Pour ne pas gâcher ce potentiel de relève scientifique, il faut désormais élargir l’accès au troisième cycle aux hautes écoles spécialisées. La présence obligatoire d’un professeur universitaire dans le jury de thèse assurerait que la qualité est bien au rendez-vous. Je ne doute pas une seconde qu’elle le sera.
Claire Gervais est professeure boursière du FNS à la Haute école des arts de Berne. Elle y dirige le laboratoire «Nouvelles techniques pour anciens matériaux» qui compte notamment deux doctorants.
Avec la création des hautes écoles spécialisées en 1995, la Suisse a comblé une lacune dans son système éducatif. Par la suite, la garantie de perméabilité entre les différentes filières de formation a débouché sur une optimisation supplémentaire. Ces deux mesures indépendantes permettent de former du personnel qualifié et d’éviter les impasses dans les parcours éducatifs. Lorsqu’une économie nationale veut maximiser le potentiel de sa population, les hautes écoles spécialisées (HES) et la perméabilité sont indispensables.
Ces derniers temps, des voix toujours plus nombreuses réclament pour les HES le droit de décerner des doctorats de manière indépendante. En tant qu’ancien directeur cantonal de l’instruction publique, je m’oppose à cette revendication.
Au contraire des universités, les HES doivent être à disposition des personnes qui après l’école obligatoire ont suivi une formation professionnelle, qui est orientée vers les applications. Lors de la préparation des futurs étudiants, l’accent est mis sur la pratique et pas seulement sur la culture générale, comme dans les universités. L’objectif du législateur était – et reste – que les hautes écoles spécialisées servent à approfondir les applications du savoir et des connaissances d’un métier.
Distinguer entre les différents établissements d’éducation supérieure est voulu: les universités pratiquent la recherche fondamentale, les HES la recherche appliquée. Les objectifs d’enseignement de ces dernières reposent sur cette différence. Le slogan du temps de leur création – «Equivalent mais différent» – reste valable aujourd’hui.
La formation continue des professionnels est d’une importance primordiale pour les nombreuses petites et moyennes entreprises de Suisse. Grâce à l’existence de HES axées sur la pratique, la qualité et la compétitivité des PME ont pu être maintenues, et même améliorées. Octroyer aux HES le droit au doctorat n’augmenterait pas leur qualité.
La population ne se montre d’ailleurs pas favorable à l’«académisation». Dès lors, une dévalorisation de la formation duale ne doit pas être autorisée ne doit pas être autorisée. A l’heure où les cantons responsables des financements peinent parfois à allouer les fonds nécessaires pour la recherche dans les HES, il est peu probable qu’ils approuvent l’introduction d’un doctorat.
Christoph Eymann est conseiller national PLR et membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture. Il siège au conseil de l’Université de Bâle et a présidé la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique de 2013 à 2016.