Editorial: Résoudre les problèmes plutôt qu’y contribuer
En 1929, l’année du krach de Wall Street, les accidents d’avion ont fait 61 victimes – l’équivalent d’un mort par 1,6 million de kilomètres parcourus. Perçu comme inacceptable, chaque accident a forcé l’aviation à améliorer la sécurité: construction et tests de matériaux, redondance des systèmes vitaux et maintenance. Même les aspects psychologiques sont pris en compte dans la formation afin d’éviter qu’une hiérarchie trop rigide au sein du cockpit n’empêche le geste qui sauve. Résultat: septante ans plus tard, le taux d’accidents mortels dans l’aviation a été divisé par 10 000. On peine à voir une telle évolution dans la finance. Les crises continuent à ravager les nations: 25% de chômage aux Etats-Unis dans les années 1930, 25% en Espagne en 2012. «Les crises reviennent tous les dix ans», rappellent les économistes un peu trop volontiers. Ce fatalisme semble déplacé alors que leurs collègues consacrent leurs recherches à calculer le prix d’un nouveau produit structuré dont la complexité est voulue par l’industrie financière. Est-ce à l’impôt de financer le développement de telles «armes financières de destruction massive», pour reprendre l’expression de Warren Buffet? Tout comme l’aéronautique, l’économie est une science capable de s’améliorer, avec pour mission première d’être pertinente et d’apporter à la société ce dont elle a besoin. Elle doit s’efforcer de rendre le système moins fragile, décloisonner rapidement ses différentes écoles de pensée et prendre des distances avec ses dogmes maintes fois critiqués, tels que les marchés efficients et un Homo oeconomicus qu’on peine à rencontrer dans la réalité. Les défis sont immenses: anticiper les impacts du changement climatique et des désinvestissements dans l’économie fossile, absorber les chocs démographiques et de la redistribution de la production mondiale; intégrer les coûts sociaux et environnementaux dans les bilans; développer des modèles de croissance alternatifs dans un monde aux ressources finies; contrôler l’évasion fiscale pratiquée par des conglomérats devenus plus puissants que les Etats. Pour cela, la formation est la clé. C’est dans les universités que se prépare aujourd’hui l’élite de demain. A nous d’agir pour qu’elle travaille à résoudre ces problèmes – pas à y contribuer. Daniel Saraga, rédacteur en chef CC BY-NC-ND
En 1929, l’année du krach de Wall Street, les accidents d’avion ont fait 61 victimes – l’équivalent d’un mort par 1,6 million de kilomètres parcourus. Perçu comme inacceptable, chaque accident a forcé l’aviation à améliorer la sécurité: construction et tests de matériaux, redondance des systèmes vitaux et maintenance. Même les aspects psychologiques sont pris en compte dans la formation afin d’éviter qu’une hiérarchie trop rigide au sein du cockpit n’empêche le geste qui sauve. Résultat: septante ans plus tard, le taux d’accidents mortels dans l’aviation a été divisé par 10 000.
On peine à voir une telle évolution dans la finance. Les crises continuent à ravager les nations: 25% de chômage aux Etats-Unis dans les années 1930, 25% en Espagne en 2012. «Les crises reviennent tous les dix ans», rappellent les économistes un peu trop volontiers. Ce fatalisme semble déplacé alors que leurs collègues consacrent leurs recherches à calculer le prix d’un nouveau produit structuré dont la complexité est voulue par l’industrie financière. Est-ce à l’impôt de financer le développement de telles «armes financières de destruction massive», pour reprendre l’expression de Warren Buffet?
Tout comme l’aéronautique, l’économie est une science capable de s’améliorer, avec pour mission première d’être pertinente et d’apporter à la société ce dont elle a besoin. Elle doit s’efforcer de rendre le système moins fragile, décloisonner rapidement ses différentes écoles de pensée et prendre des distances avec ses dogmes maintes fois critiqués, tels que les marchés efficients et un Homo oeconomicus qu’on peine à rencontrer dans la réalité.
Les défis sont immenses: anticiper les impacts du changement climatique et des désinvestissements dans l’économie fossile, absorber les chocs démographiques et de la redistribution de la production mondiale; intégrer les coûts sociaux et environnementaux dans les bilans; développer des modèles de croissance alternatifs dans un monde aux ressources finies; contrôler l’évasion fiscale pratiquée par des conglomérats devenus plus puissants que les Etats.
Pour cela, la formation est la clé. C’est dans les universités que se prépare aujourd’hui l’élite de demain. A nous d’agir pour qu’elle travaille à résoudre ces problèmes – pas à y contribuer.
Daniel Saraga, rédacteur en chef