Une électrothérapie contre la dyslexie
La stimulation électrique du cerveau amplifie les ondes cérébrales naturellement présentes. Et offre une nouvelle approche thérapeutique de la dyslexie.
La lecture et l’écriture constituent des acquisitions relativement récentes pour l’humanité, et ne sont donc pas préprogrammées dans le cerveau. Il faut plusieurs années pour apprendre à transformer signes écrits en langage parlé, et inversement. Mais cela ne fonctionne pas toujours: certains enfants mélangent les lettres, font d’innombrables fautes d’orthographe et ne parviennent à lire que de manière saccadée. Entre 5% et 15% de la population souffre de tels troubles de dyslexie.
Ces difficultés ne résultent pas d’un manque d’intelligence. Les neuroscientifiques les attribuent à un déficit du lien entre la zone cérébrale de la parole et celle de l’écriture. «Le problème ne provient pas en premier lieu de l’ouïe ou de la vue, mais du point où le traitement auditif et visuel du langage se rencontrent, explique Daniel Brandeis, professeur de neurophysiologie à l’Université de Zurich. C’est là que le langage parlé est découpé en éléments distincts et associé aux motifs visuels des lettres, qui sont reconnus par des zones spécialisées du cerveau.»
Ces résultats correspondent aux expériences faites par les pédagogues sur le terrain: les enfants dyslexiques peinent à fractionner la langue dans ses plus petites unités, les phonèmes. Ils ont par exemple des difficultés à taper dans les mains sur chaque syllabe ou à différencier les sons «t» et «d». Les traitements proposés se concentrent sur ces insuffisances. «Les exercices purement visuels – qui n’incluent pas la parole – n’ont pas d’effet positif sur la lecture et l’écriture, indique Anke Sodogé, professeure à la Haute école intercantonale de pédagogie curative de Zurich. En revanche, travailler sur la différenciation et l’assimilation des sons a fait ses preuves.» Mais elle tempère et souligne que malgré les efforts, les progrès restent souvent minimes.
Des ondes cérébrales perturbées
Une nouvelle approche de thérapie neurologique pourrait améliorer l’effet de ces exercices. Les scientifiques ont observé que certaines oscillations neuronales dans le cerveau des personnes dyslexiques présentent un rythme perturbé. Avec l’aide de la stimulation électrique, la psychologue Katharina Rufener, de l’Université Otto von Guericke de Magdebourg Allemagne), souhaite corriger les ondes affectées: «L’objectif consiste à normaliser l’état physiologique de base du cerveau afin que les thérapies agissent mieux.»
Les neurones produisent de manière synchronisée plusieurs types d’oscillations qui remplissent différentes fonctions selon leur fréquence. Les ondes gamma, qui sont perturbées en cas de dyslexie, affichent une fréquence de 25 à 40 hertz et sont impliquées dans le traitement du langage verbal. «Le cerveau dispose d’environ 25 millisecondes pour reconnaître chaque phonème, explique Katharina Rufener. Cette fréquence d’échantillonnage correspond environ à la période d’une oscillation gamma. En cas de dyslexie, l’oscillation est trop lente ou trop rapide, ce qui brouille la fréquence d’échantillonnage du signal acoustique de la langue. C’est la raison pour laquelle les phonèmes ne peuvent pas être distingués.»
Pour ramener les oscillations perturbées dans le bon rythme, Katharina Rufener a appliqué des stimulations cérébrales sur des personnes souffrant de dyslexie, à l’aide de deux électrodes posées sur la tête. Un faible courant alternatif génère la fréquence souhaitée et la transmet aux neurones dans des régions précises.
Durant ces expériences, les participants doivent effectuer des exercices de différenciation des phonèmes. Les enfants et les jeunes ont obtenu de meilleurs résultats avec une excitation dans les fréquences gamma. La chercheuse veut désormais tester dans une deuxième série d’expériences l’effet des autres types d’ondes cérébrales, qui sont perturbées chez la majorité des personnes dyslexiques.
Incertitudes sur le long terme
Il n’est pas encore clair si cette méthode peut apporter une amélioration sur le long terme. Après une séance, le cerveau retrouve presque immédiatement ses oscillations originales. Certains indices montrent toutefois que l’effet se maintient plus longtemps lorsque les interventions sont répétées sur une période plus longue.
Anne-Lise Giraud, professeur de neurosciences à l’Université de Genève, estime qu’il est encore trop tôt pour utiliser cette technique à des fins thérapeutiques. «Nous ne savons toujours pas ce qu’il se passe exactement lors d’une stimulation cérébrale.» En collaboration avec le Centre Wyss pour la bio et neuroingénierie au Campus Biotech de Genève, la chercheuse mène des expériences similaires à celles de Katharina Rufener, mais pour l’instant uniquement sur des adultes ne souffrant pas de dyslexie. «Nous observons une amélioration de la capacité à reconnaître les sons. Mais nous obtenons aussi beaucoup de résultats contradictoires.»
Anne-Lise Giraud veut d’abord effectuer davantage de recherche fondamentale. Il n’est pas encore entièrement clair si les ondes gamma sont toujours présentes: «Nous pensons que le cerveau lui-même ne produit qu’un faible signal qui se renforce avec l’audition.» Ses recherches montrent par ailleurs que les oscillations gamma sont couplées à d’autres types d’ondes cérébrales, qui permettent peut-être au cerveau de s’adapter aux différentes vitesses de langage. Pour tester ses hypothèses, Anne-Lise Giraud a développé un programme de simulation par ordinateur. «Le modèle représente un réseau de neurones qui produit des oscillations gamma et dans lequel nous pouvons envisager tous ces différents scénarios.»
affectées.» Daniel Brandeis
Même si ce type d’interactions n’a pas encore été étudié dans le détail, Daniel Brandeis juge la stimulation électrique cérébrale très prometteuse. «Je peux imaginer qu’elle améliorera de manière décisive les thérapies existantes et permettra des changements plus rapides et plus durables pour les patients.» Il ne faut toutefois pas s’attendre à une guérison complète. «Malgré les succès thérapeutiques, la lecture reste souvent astreignante pour les personnes les plus affectées. Elles ne pourront que rarement lire avec la même facilité que les personnes non dyslexiques.»
La journaliste Yvonne Vahlensieck vit près de Bâle.
K. S. Rufener et al.: Transcranial Alternating Current Stimulation (tACS) differentially modulates speech perception in young and older adults. Brain Stimulation (2016)