Quand évolution rime avec punition
Des modèles mathématiques simulent le comportement d’êtres vivants pour comprendre leurs réactions face à des individus déloyaux.
La théorie de l’évolution explique les comportements égoïstes. Pourtant, la proportion des organismes qui coopèrent est étonnante: les oiseaux élèvent leur progéniture en couple, et les insectes forment de véritables Etats et se partagent les tâches. La genèse du comportement coopératif passionne aussi bien les biologistes et généticiens que les théoriciens du jeu.
Les travaux de Matthias Wubs, doctorant à l’Université de Neuchâtel, ouvrent des perspectives surprenantes. En collaboration avec Laurent Lehmann, de l’Université de Lausanne, et Redouan Bshary, professeur à Neuchâtel, il a examiné les circonstances favorisant un comportement coopératif. Les chercheurs sont partis du célèbre dilemme du prisonnier, où deux suspects incarcérés peuvent soit collaborer (et ne rien dire) soit décider de faire cavalier seul et de dénoncer l’autre. Ils s’en sortent le mieux si tous deux coopèrent. Si l’un d’eux seulement dénonce son complice, il en tire un grand avantage, mais l’autre sera pénalisé dans la même proportion. Et s’ils se dénoncent mutuellement, la peine qui les frappe tous deux est plus lourde que s’ils avaient collaboré.
Trois stratégies à choix
Partant de ce dilemme, Matthias Wubs a examiné quelle stratégie s’impose dans une population virtuelle pour encourager la coopération. Il a envisagé trois options: un individu peut punir le traître, s’en séparer ou lui rendre la monnaie de sa pièce – œil pour œil, dent pour dent. Les paramètres du modèle mathématique, comme la taille de la population ou le nombre d’interactions, peuvent être modifiés.
Bien que le modèle simplifie les conditions réelles, il permet de formaliser les règles biologiques de manière réaliste. Dans les grands groupes, il vaut mieux simplement éviter les membres déloyaux. «Le changement de partenaire est la stratégie qui s’impose toujours plus clairement à mesure que la taille du groupe et le nombre des interactions augmentent», explique Matthias Wubs. Ce résultat se comprend facilement: un individu qui quitte un partenaire non coopératif a de bonnes chances d’en rencontrer un autre plus favorable.
La punition représente une alternative qui demande un investissement continu pour garder le contrôle de son partenaire. Cette stratégie évolue avec la taille de la population et le nombre d’interactions. «Dans les petits groupes, il vaut mieux punir les membres qui ne coopèrent pas», relève Matthias Wubs. Dans la nature, les oiseaux peuvent ainsi arracher une plume au renégat. L’individu qui inflige la punition force l’autre à collaborer, ce qui a un sens puisque le nombre d’individus en mesure de coopérer est limité.
Une surprise
Matthias Wubs ne s’attendait pas à ce que les simulations informatiques privilégient également la punition dans les populations de taille moyenne, comprenant une cinquantaine d’individus en interaction. Biologiste et spécialiste en modélisation à l’Université Napier d’Edimbourg, Simon Powers relève lui aussi ce résultat: «Les biologistes se demandent depuis longtemps si la sélection naturelle favorise la punition des individus qui ne coopèrent pas.» Selon lui, les modèles informatiques développés par Matthias Wubs montrent que les sanctions pourraient même supplanter d’autres moyens pour contrôler ses partenaires.
D’élégants modèles mathématiques permettent d’aborder l’évolution sous des angles inédits qui n’ont rien d’évident. Pour le doctorant, ces nouvelles perspectives font tout l’attrait de la biologie théorique: «Nous pouvons développer et tester des hypothèses.» Les empiristes se mettront ensuite à la recherche des populations réelles se comportant comme le modèle le prédit.
Stefan Stöcklin est rédacteur pour la communication de l’Université de Zurich.
M. Wubs et al.: Coevolution between positive reciprocity, punishment, and partner switching in repeated interactions. Proceedings of the Royal Society of London B (2016)