L’éthicienne et son laboratoire d’idées
Qui doit avoir le droit de connaître vos informations génétiques ou de les utiliser? La bioéthicienne Effy Vayena aborde les questions les plus épineuses soulevées par l’arrivée de nouveaux types de technologies médicales.
La majeure partie de sa vie adulte, Effy Vayena l’a passée loin de l’île grecque de Leucade qui l’a vue grandir. Après un bachelor en histoire à Athènes, sa carrière l’a menée des Etats-Unis à la Grande-Bretagne, en passant par la Mongolie et la Birmanie. Maintenant installée à Zurich, elle peut retourner chaque été sur cette île pour retrouver sa famille et faire du ski nautique avec ses deux filles de 12 et 7 ans. «C’est si beau, et il y a tant de soleil là-bas, raconte-elle. Je pense que si vous grandissez dans un tel endroit, vous êtes naturellement pleine d’optimisme.»
Cette attitude positive semble être bénéfique pour une personne dont le travail est de chercher des réponses à certaines des questions les plus épineuses qui se posent à notre société. En tant que professeure de politique de santé et fondatrice du Health Ethics and Policy Lab à l’Université de Zurich, Effy Vayena étudie les défis légaux générés par les progrès de la santé et des technologies médicales.
La confidentialité, l’équité ou encore la liberté de choix soulèvent des questions auxquelles le cadre légal présent ne saurait tout simplement pas répondre. Le séquençage de l’ADN et la génomique nous permettent aujourd’hui d’en savoir beaucoup plus sur l’avenir d’un patient. Mais quelles sont les informations qu’il convient de partager avec lui ou avec d’autres personnes? Ces données doivent-elles rester privées ou être utilisées pour le bien général, comme pour la recherche médicale?
Sur le terrain
Effy Vayena n’a pas fait toute sa carrière dans le monde académique. Elle est arrivée en Suisse en 2000 pour travailler à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. «J’ai commencé par étudier l’histoire et l’évolution des idées, mais j’ai fini par m’intéresser davantage aux controverses liées à l’éthique et à la médecine, en particulier à la procréation assistée et à la génétique.»
Pour l’OMS, elle a étudié la santé reproductive dans les pays en développement, se concentrant sur l’infertilité, un problème qui, en général, n’est pas associé à ces pays, nombre d’entre eux étant touchés par la surpopulation. Il affecte pourtant la santé et le bien-être dans ces régions autant que dans les pays développés, relève la chercheuse. Elle a examiné comment les nouvelles technologies reproductives pourraient y réduire la souffrance, mais aussi si elles y ont leur place alors que les ressources pour la santé sont limitées.
Elle a voyagé pour aider les groupes locaux à mettre en œuvre des recherches et des pratiques éthiques. Elle dit avoir été inspirée par les scientifiques rencontrés sur place. «En Birmanie, j’ai été impressionnée par leur candeur lorsqu’ils parlaient de leurs problèmes, du manque de moyens, des droits de l’homme ou de leurs normes éthiques. J’ai été saisie par leur ténacité, leur détermination à améliorer aussi bien leur vie que leurs recherches et à affronter les obstacles. Ils construisaient leur propre voiture pour se déplacer – j’ai roulé dans l’une d’elles.»
Suite à la naissance de sa première fille, Effy Vayena a décidé en 2008 de retourner dans le monde académique pour passer à l’Université de Zurich une habilitation en bioéthique et en politique de santé.
Les atouts de la démocratie directe
La chercheuse s’intéresse aussi aux sciences citoyennes. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais les téléphones mobiles et l’Internet permettent aux participants d’échanger leurs données plus vite et plus largement que jamais.
A ses yeux, la Suisse représente un endroit idéal pour étudier ce phénomène, qu’il s’agisse d’examiner comment protéger les participants et leurs données ou impliquer le plus de monde possible dans les décisions touchant à la science.
«C’est vraiment intéressant pour moi de mener mes recherches dans ce pays en raison de la démocratie directe, dit-elle. J’essaie de comprendre comment créer de nouvelles normes répondant aux problèmes d’éthique, de santé et de gestion des données. Et au travers de quelles démarches? Idéalement par des processus de réflexion, de participation citoyenne et de discussion.»
Ayant obtenu la citoyenneté suisse l’an dernier, Effy Vayena peut désormais s’engager pleinement dans le débat démocratique. Le hasard fait bien les choses: la première fois qu’elle s’est rendue aux urnes, l’une des votations portait sur le diagnostic préimplantatoire – une procédure controversée de tests génétiques sur les embryons in vitro avant leur implantation dans l’utérus. Elle s’est prononcée en faveur de la révision, comme la majorité de ses nouveaux concitoyens.
Elle voit son laboratoire comme un espace démocratique: «Je préfère un environnement sans trop de hiérarchie; nous travaillons dur et rions beaucoup. Il n’y a pas de pipettes dans mon labo: je le conçois plutôt comme un lieu d’expérimentation d’idées.»
L’an prochain, la bioéthicienne et son équipe s’engageront dans un projet qui combinera le Big Data, l’éthique et la santé. Elle s’engage également dans le Swiss Personalized Health Network, coordonné par l’Académie suisse des sciences médicales. Bénéficiant d’un budget de 70 millions, cette initiative veut accélérer les progrès de la médecine personnalisée, notamment en harmonisant les différents types de données médicales en Suisse.
Et s’il lui reste un peu de temps à côté de son travail? A long terme, Effy Vayena aimerait étudier l’influence de l’intelligence artificielle sur la recherche médicale et les soins. Mais pour le moment, elle est surtout heureuse de passer du temps avec ses filles.
«Je leur parle beaucoup. Elles sont trilingues – allemand, grec et anglais – et il me faut répondre à toutes sortes de questions. Nous retournons en Grèce tous les étés. Elles sont meilleures que moi sur la neige, mais je me défends plutôt bien en ski nautique.»
Celia Luterbacher est journaliste à Swissinfo.