Le chercheur transparent
C’est dans les labos et sur le terrain que la manière de pratiquer la recherche se redéfinit. Portraits de quatre personnes qui s’engagent, chacune à leur manière, pour une science ouverte.
Pour Malte Elson, la science ouverte représente une «transparence maximale dans les travaux scientifiques, à tous les niveaux». L’idée existe depuis longtemps, poursuit le jeune psychologue spécialisé dans l’agressivité et les jeux vidéo. Mais une nouvelle génération débarque aujourd’hui, avec le désir de «rendre l’accessibilité accessible». Elle met en place les structures nécessaires pour que la science ouverte ne reste pas qu’une vaine promesse. Malte Elson se voit comme partie intégrante d’un nouveau mouvement «idéologique mais aussi technologique». Il a lancé le site journalreviewer.org, qui rassemble des expériences faites avec le peer review, ainsi que flexiblemeasures.com, qui examine minutieusement comment d’autres chercheurs mesurent l’agressivité, soulignant ainsi le manque de standardisation.
Malte Elson utilise avant tout l’outil Open Science Framework qui permet de documenter complètement le processus de recherche, «de la première idée à la publication». Cela améliore considérablement la transparence – pour le chercheur aussi: des années plus tard, il peut toujours comprendre précisément ce qu’il a fait. «Au final, cette pratique réfléchie de la recherche nous protège de nos propres erreurs.»
Structure en réseau, flux ouvert d’informations, renégociation entre public et privé: le projet Open Source Malaria tourne beaucoup autour d’Internet. «Où qu’ils se trouvent, ce sont ceux qui investissent le plus d’efforts dans le projet qui en deviennent les leaders», glisse Alice Williamson, qui a lancé cette initiative pour découvrir des nouveaux principes actifs contre la malaria. Cette biochimiste travaille à Sydney, mais les chercheurs impliqués sont disséminés dans le monde entier – un spécialiste logiciel de l’EPFL y participe.
Toutes les données de recherche sont immédiatement divulguées. La communication entre les chercheurs se fait «aussi peu que possible par e-mail»: la préférence va à Github ou Twitter. La recherche est ainsi plus transparente, mais aussi plus efficace, selon Alice Williamson: c’est un «terrible gaspillage de fonds de recherche» lorsque différents laboratoires travaillent sur les mêmes substances et se retrouvent dans la même impasse. Elle organise régulièrement des ateliers consacrés à la tenue de journaux de laboratoire. Pour elle, il est tout à fait normal pour les jeunes chercheurs de partager succès comme erreurs. De la même manière qu’ils le font dans leur vie privée.
Pour la communauté du deep learning (une forme d’apprentissage automatique), les pistes et idées de recherche se discutent aussi sur des forums en ligne. «La tendance est à tout publier sur le serveur de prépublication Arxiv», explique Oliver Dürr, professeur à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW). Généralement, le code est publié en même temps, et Arxiv sert de référence pour les discussion en ligne.
Reddit est très populaire. Des articles y sont mis en lien et commentés dans des sous-forums spécialisés. Le forum Ask Me Anything héberge des sessions de questions-réponses avec des chercheurs de renom. Les internautes votent à la hausse ou à la baisse sur les questions soumises par des experts. Si Oliver Dürr suit volontiers des blogs consacrés à la recherche en intelligence artificielle, le sien lui sert avant tout de journal de bord pour consigner ses idées. Les billets du chercheur Andrej Karpathy s’apparentent à des évaluations, et la colonne des commentaires fourmille de demandes et de suggestions. De nouveaux cercles de discussion se forment ainsi sans cesse, accessibles à tous, que l’on soit universitaire ou non.
Pour construire lui-même son équipement de laboratoire, le roboticien Francesco Mondada de l’EPFL utilise un logiciel de CAO (conception assistée par ordinateur). Il mettrait sans autre ses plans de construction à disposition du public, mais il se heurte aux licences d’utilisation des logiciels. Il existe des conditions spéciales pour les universités, d’autres onéreuses pour l’industrie, et pour chaque modèle le format de données est différent. A cela s’ajoute un imbroglio de dispositions que l’on accepte à l’achat du logiciel et qui ne prévoient pas la diffusion ouverte des données. C’est un peu comme si, avant de publier son roman, un écrivain devait en demander l’autorisation à Microsoft pour avoir rédigé son texte avec Word.
Francesco Mondada estime que la robotique n’est pas une exception pour l’open science: «Les biologistes commencent aussi à utiliser dans leurs laboratoires des imprimantes 3D nécessitant des logiciels spécialisés.» Depuis des années, il se bat pour des réglementations plus simples. A ses yeux, il existe un «clash entre deux conceptions de l’université»: un modèle ancien qui juge au cas par cas le transfert vers l’industrie, et un nouveau concept qui défend un échange ouvert et non bureaucratique – pas seulement entre universités, mais aussi avec l’industrie.